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Dominique Lancelot (Section de recherches) : « On avait la certitude que la série était en train de commencer à s’essouffler »

Claire Varin
Publié le 03/04/2014 à 20:07 Mis à jour le 09/04/2014 à 16:42

Productrice et scénariste de Section de recherches, Dominique Lancelot porte la série policière, diffusée sur TF1, sur ses épaules depuis neuf ans. Cette saison 8 marque un renouveau de la série : changement de région, changement de casting. Dominique Lancelot s’explique sur ce renouveau.

Claire Varin : Pour cette saison 8 de Section de recherches, le changement de décor était-il une nécessité ?

Dominique Lancelot : J’avais le sentiment qu’à Bordeaux, on était arrivé au bout d’une forme d’inspiration et d’envie aussi, pour nous les auteurs et les créatifs, d’imaginer des histoires. Donc on souhaitait changer. Et en même temps, on avait la certitude que la série était en train de commencer à s’essouffler, qu’il fallait lui donner un nouvel élan. On avait également envie de faire bouger nos personnages et c’était compliqué de le faire en restant au même endroit.

Le Var s’est-il imposé de lui-même ?

On tourne quasiment dix mois de l’année, et souvent en extérieur. Le climat et la lumière sont donc extrêmement importants pour nous. En Gironde, on tournait de fin février à décembre, en s’arrêtant un peu l’été. Donc il y avait des contrastes terribles à l’intérieur d’une saison à Bordeaux, entre les épisodes tournés en hiver et ceux tournés à partir du mois mai. Et puis, j’avais du mal à imposer un ordre de diffusion parce que la chaîne avait toujours envie de diffuser en début de saison les épisodes les plus lumineux. Je leur ai dit : « Maintenant vous me pousser à faire du feuilletonnant - ce que j’ai envie de faire depuis fort longtemps - mais il y a un ordre, qui va s’imposer et ne sera pas forcément celui du tournage ». Pour pouvoir avoir une continuité et une homogénéité de lumière, il y avait un désir de tourner dans le sud. Ce n’est pas par hasard que les Américains tournent beaucoup à Los Angeles ou à Miami, c’est parce que la lumière change très peu tout au long de l’année.

Lors des sept premières saisons, vous tourniez entre Bordeaux et Paris, pour les scènes d’intérieur (la gendarmerie). Pourquoi ne tourniez-vous plus à Paris ?

On nous a permis d’installer un studio à moindres frais dans une friche industrielle donc on a décidé de tout tourner là-bas. Ça a provoqué un changement même dans la façon de produire. On s’est mis à produire un film après l’autre, plutôt que deux par deux. On peut passer de l’intérieur à l’extérieur de manière beaucoup plus souple. Au final, cela nous laisse aussi plus de souplesse à l’écriture.

« J’ai pris le risque de me séparer de ceux qui, pourtant, pouvaient paraître les plus populaires »

Se renouveler voulait aussi dire se séparer d’une partie du casting...

Le renouvellement passait malheureusement par un certain changement dans l’équipe. Si vous prenez des gens qui ont l’habitude de fonctionner ensemble depuis sept ou huit ans, le changement de décor n’est pas suffisant. Il fallait que de nouvelles personnalités arrivent pour que les rencontres, les frottements des uns et des autres obligent chacun à se découvrir. Ça fait bouger les lignes. Il fallait de nouveaux arrivants et pour cela, il fallait des départs. Le choix a été difficile à faire. Et j’ai choisi de garder les deux piliers matures. Ils incarnaient quelque chose de particulier pour un certain public qui aimait la série. Et j’ai pris le risque de me séparer de ceux qui, pourtant, pouvaient paraître les plus populaires.

L’histoire du serial-killer dans l’équipe a-t-elle annoncé ce changement ?

On est d’abord parti sur l’idée d’un serial killer pour avoir un fil rouge sur la saison. Mais au départ ce n’était pas du tout Marco. Puis, au milieu de l’année, je me suis dit : il faut vraiment que je déménage. Et là, j’ai vraiment entrepris de convaincre la chaîne. Donc, on a gommé le serial-killer dans les premiers épisodes, parce que ça allait être trop dilué, pour vraiment le faire intervenir sur la fin. Et comme je savais qu’il allait falloir que je me débarrasse d’un certain nombre d’acteurs et que Marco, je ne voyais pas comment je pouvais le faire venir à Nice, j’ai décidé qu’il le serial-killer. Ça justifiait l’explosion de l’équipe. Et ça faisait une belle sortie pour le comédien.

Partie 2 >L’aspect feuilletonnant et les audiences de la série


TF1 a-t-elle été difficile à convaincre ?

Ils étaient inquiets. Mais arriver à ce stade de développement de la série, ils ont compris que oui, probablement, c’était un risque raisonnable. Auparavant, ils ne voulaient pas que je le fasse. En 2009, je voulais déjà partir. Mais j’ai attendu, j’ai exploré et exploité au maximum Bordeaux et cette région, qui nous a fourni un cadre magnifique pendant sept ans. On a été très heureux. C’était juste le climat qui posait un problème. Et puis, aussi, le fait que la région ne nous aidait pas beaucoup. On avait l’impression que tout ce que l’on a fait pour montrer et faire aimer cette région ne comptait pas. En Gironde, ils sont persuadés, sans doute à raison, qu’ils n’ont pas besoin de ça.

Vous avez dit sentir un essoufflement de la série. TF1 aurait pu vous dire « On arrête »...

Ils n’auraient pas arrêté tout de suite parce qu’on réalisait encore de très beaux scores. On avait deux ou trois ans devant nous. Il y a beaucoup de séries de TF1 qui ne font pas de telles audiences. C’était une série un peu en perte de vitesse, qui a mis du temps à s’installer. Parce qu’elle n’a pas du tout été aidée au départ. Ni par la promotion, ni par la programmation. Elle s’est installée au fur et à mesure grâce au talent de tous les gens qui m’ont aidé à la faire et à notre ténacité. J’avais envie de lui donner toutes ses chances une dernière fois. C’est-à-dire de toucher le très large public qu’elle semblait mériter.

Finalement, c’est une prise de risque gagnante puisque les audiences sont bonnes et TF1 communique aussi sur les scores sur le public féminin...

Oui, on a atteint plus de 26%. C’est très bien. En donnant plus d’espace aux vies privées, les femmes accrochent plus. Avant, il y avait quelque chose qui n’attirait pas suffisamment les femmes : le sud-ouest, la gendarmerie... Je ne sais pas. Mais tout d’un coup, le côté plus glamour des décors - même si l’on fait attention à ne pas être toujours dans le somptueux - est un facteur. Et puis, le nouveau casting a, clairement, attiré des femmes. Franck Sémonin a des fans qui l’aimaient beaucoup dans Plus belle la vie. Ils sont probablement venus voir la série pour lui, et sont restés. Ce changement a généré une communication beaucoup plus importante. C’est comme un lancement de série, les gens viennent voir. Après on peut se dire que le pari est gagné parce que les téléspectateurs et téléspectatrices sont revenus, et de plus en plus nombreux.

« En donnant plus d’espace aux vies privées, les femmes accrochent plus »

Cette saison est découpée en chapitres. On pouvait même être surpris de voir un cliffhanger dès le quatrième épisode. Comment avez-vous travaillé cet aspect feuilletonnant très développé cette saison ?

Très honnêtement, on a navigué un peu à vue sur cette saison. J’ai senti la nécessité au quatrième épisode d’embarquer les gens ailleurs de là où ils pensaient aller. C’était intéressant de faire ça pour savoir si le public s’intéressait à ce type d’histoire de vie privée. Un personnage nouveau, dont on ne sait rien, permet de découvrir des choses de lui, qui nous surprennent et qui vont embarquer les autres - et en particulier Bernier. Je voulais installer une complicité entre ces deux hommes et pour cela, il fallait qu’il se passe quelque chose de fort. Mais c’est vrai que je ne l’ai pas décidé avant. Ça s’est fait en cours d’écriture et de production. C’est cette réactivité-là que j’ai trouvée en déménageant ailleurs.

Xavier Deluc a déclaré « Dominique Lancelot a fait de moi un homme ». Que pouvez-vous dire de votre relation ?

Ça fait huit ou neuf ans maintenant que l’on fait un bout de chemin ensemble. Il est rentré dans le personnage alors qu’il était encore un jeune homme. En tout cas, c’est l’image qu’il projetait. Je l’aime beaucoup. C’est un partenaire formidable pour un producteur dans une série. Il est à l’écoute et est généreux. C’est quelqu’un qui avait déjà eu l’occasion de vivre des séries, qui ne s’étaient pas forcément toujours bien passées. Il a eu des hauts et des bas dans sa carrière, donc il a une maturité en tant que personne. Il a accompagné cette série parce qu’il a sans doute senti que ça pouvait être un voyage bénéfique et long pour nous tous. Le personnage de Bernier est passé à la maturité, et lui aussi. Et donc, en tant qu’acteur et en tant qu’homme, il a changé.

Partie 3 > Une quelconque lassitude ?


On vous qualifie souvent de showrunner à cause votre double casquette de productrice et d’auteure sur Section de recherches. N’avez-vous jamais éprouvé de la lassitude et eu envie de vous détachez de cette série ?

À Bordeaux, j’ai un peu l’impression de retourner toujours sur les mêmes lieux du crime (rires). J’ai besoin que ça bouge et que je me pose des challenges. J’adorais les comédiens dont je me suis séparée. Mais parfois, il faut couper des branches pour avancer. De la lassitude, non. De la fatigue, oui. L’envie de pouvoir passer deux mois sans y penser, ce qui n’est pas le cas. Mais ça fait partie de moi, maintenant. Et le jour où ça va s’arrêter, ça va faire un grand vide. C’est une famille qui marche ensemble. Par moment, je voudrais arrêter, mais je sais bien que je ne le ferai pas de moi-même.

N’avez-vous pas envie de trouver un engagement ailleurs ?

Il y a, chez moi, une envie et un besoin profond de faire d’autres choses. Aujourd’hui, j’ai mis en place un système d’écriture avec une équipe, qui peut fonctionner sans que je sois au quotidien complètement dédiée. Ce besoin d’autres choses, je le mets en œuvre puisque je développe d’autres projets. Et j’ai bien l’intention que ça débouche sur des séries.

La série est-il le format qui vous convient le plus ?

C’est ce qui est le plus passionnant à faire en télévision. C’est le format de la télévision, les séries. C’est là où elle trouve sa spécificité, son rythme de récit et son développement naturel. Raconter des histoires longues, donner vie à des personnages, qui deviennent familiers aux spectateurs, c’est formidable.

« J’ai besoin que ça bouge et que je me pose des challenges »

Avez-vous envie d’aller vers d’autres genres que le polar ?

Oui, bien sûr. Je ne suis pas la meilleure spécialiste, en tant qu’auteure, des comédies. Mais j’ai ici [Auteurs et associés production, ndlr] des gens, qui en développent une avec beaucoup de talent et que j’accompagne en production. Mais je ne suis ni auteur, ni producteur. J’abrite ce bébé-là avec beaucoup d’intérêt et de plaisir. En tant que producteur, je peux déceler ce qui fonctionne et ce qui est bien. Maintenant, c’est vrai que c’est compliqué pour tenir les gens en haleine de s’éloigner de la tension que provoque le polar ou en-tout-cas, le suspens. C’est un genre très prisé des téléspectateurs. Et quand on raconte des histoires aux enfants, on leur fait peur à la fin. Aujourd’hui, ça a pris la forme du polar, mais les fées, les monstres, etc., c’est la même chose. On joue avec la peur depuis toujours.

Faire peur, c’est aussi le fantastique. En France, ce genre n’est pas vraiment développé...

C’est plus compliqué à manier, et parfois plus cher à faire. On y vient quand même. Les Revenants, par exemple, est une série française très intéressante. Toutes les chaînes, décideurs et créatifs ont aujourd’hui besoin d’aller vers de nouvelles formes narratives et de cadres d’histoire. Et je pense qu’on est mûr pour y passer. Même TF1 avec ce film, Ce soir, je vais tuer l’assassin de mon fils, qui était vraiment très différent des codes habituels qu’ils nous imposaient jusqu’à présent. Ils sautent le pas aussi et ça marche. Donc on va pouvoir respirer un peu mieux peut-être...