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Frank Spotnitz (Le Transporteur 2) : « Je voulais plus de conflit autour du personnage de Frank Martin »

Marion Olité
Publié le 01/01/2015 à 18:15

Après une saison 1 reçue fraîchement par la critique et pas toujours assumée par ses propres acteurs, la série Le Transporteur s’est dotée d’un nouveau showrunner en la personne de Frank Spotnitz. Un nom qui n’est pas étranger aux fans de X-Files, série culte sur laquelle le producteur et scénariste a oeuvré pendant plusieurs années, avant de partir sur Millenium, The Lone Gunmen et plus récemment Strike Back ou Hunted. Rencontre avec un entertainer né, intarissable sur son métier.

Marion Olité : À quel moment vous a-t-on contacté pour reprendre le flambeau du Transporteur ?

Frank Spotnitz : Je crois que c’était en mai 2013. Les producteurs m’ont invité à déjeuner pour voir si j’étais intéressé. Ils pensaient que la série pouvait être meilleure que ce qu’elle était. Ils m’ont demandé de la regarder, ce que j’ai fait. Et effectivement, je me suis dit qu’il y avait mieux à faire (rires). Mais j’ai aussi pensé que c’était une idée brillante pour une série télé. Les gens ne réalisent pas à quel point il est compliqué d’imaginer un concept aussi simple que celui du Transporteur. Les films étaient super, très fun avec beaucoup d’action. Mais pour la télé, j’ai voulu me concentrer sur les personnages, les développer davantage pour que le public se sente émotionnellement impliqué. Je sais bien que Le Transporteur n’est pas un drama sombre et doit rester un divertissement, mais il fallait changer quelque chose. Les producteurs étaient d’accord avec ma vision. Ils m’ont donné le feu vert en décembre, et le tournage a débuté en février 2014.

Était-ce votre décision de ne pas faire revenir deux actrices principales de la saison 1, Delphine Chanéac et Andrea Osvárt ?

Oui, car je voulais plus de conflits autour du personnage de Frank Martin. Or, il m’a semblé que le personnage de Carla n’a pas été construit comme l’égal de Frank. Je voulais quelqu’un capable de le challenger, de montrer son désaccord tout en le respectant. Il me fallait un meilleur équilibre entre les personnages, et qu’ils soient plus réels. C’est la partie délicate du Transporteur. C’est une série qui n’est pas réaliste, mais elle doit être assez crédible pour que le téléspectateur se soucie de ce qui va leur arriver. Il me fallait de nouveaux personnages, et donc de nouveaux acteurs. Et je ne voulais pas non plus d’un nouveau couple à la « Mulder et Scully ». Le héros reste Frank Martin. C’est lui Le Transporteur. Mais il ne peut pas résoudre les mystères seul. Il est dans l’action. Il doit continuer à rouler pour délivrer son colis. Il fallait un personnage comme Caterina Boldieu, qui peut aller poser les questions, enquêter, et revenir vers Frank.

X-Files est une série restée fameuse pour ses insoutenables cliffhangers. N’avez-vous pas eu envie d’apporter cela au Transporteur ?

Oh que si (rires) ! Attendez un peu de découvrir la fin de la saison 2 ! J’aurais bien aimé en mettre plus d’ailleurs, mais comme vous le savez, la façon dont les diffuseurs programment la série est très imprévisible. L’ordre de diffusion des épisodes varie, donc je ne peux pas en mettre autant que je le souhaiterais. Mais je vous promets que celui de la fin est un très gros cliffhanger ! En revanche, les personnages évoluent émotionnellement au fil de la saison.

Comment avez-vous fait évoluer le personnage de Frank Martin ?

Le truc avec Frank Martin, c’est qu’on a envie d’en savoir plus sur lui, mais il n’a pas spécialement envie de vous le dire ! Ce n’est pas un personnage qui s’ouvre facilement et il ne fait pas confiance aux gens. Dans un des épisodes, il parle de son père à un petit garçon qui vient de perdre le sien, parce que les circonstances sont exceptionnelles. En dépit de sa réserve, on va donc en apprendre un peu plus sur lui, par petites touches, presque par accident.

On découvre aussi le passé de soldat en Irak de Frank Martin. Vous semblez avoir porté un intérêt particulier à la psychologie des personnages du Transporteur. Est-ce la grosse différence avec la saison 1 ?

Je le pense. L’épisode que vous mentionnez est l’un de mes favoris. Il adore ses partenaires de combat. On le voit enfin comme un homme de la vraie vie. Si Le Transporteur existait dans la vraie vie, ce serait l’un des jobs les plus dangereux du monde ! Qui ferait ça et pourquoi (rires) ? C’est la question que je me suis posée sur cet épisode.

« Si ça ne tenait qu’à moi, je ferais du Transporteur une série d’espionnage réaliste comme Hunted ! »

Le Transporteur nécessite de nombreuses scènes d’explosion et de carambolages. Aimez-vous ce type de séquences ?

Oui, c’est tellement fun ! On ne se lasse jamais d’assister au tournage d’une course poursuite ou de voitures qui explosent (rires). En revanche, c’est assez ennuyeux à écrire. On parle de mécanique, pas du tout des personnages. Sur un script, ça donne : « Cette voiture va là, et l’autre lui rentre dedans par là... ». C’est super long à tourner, mais tellement amusant à regarder.

Cette saison, Frank Martin va rencontrer sa Nemesis en la personne d’un autre Transporteur, joué par Dhaffer L’Abidine. Que pouvez-vous nous dévoiler sur ce personnage ?

J’avais travaillé avec Dhaffer sur Hunted, qui meurt assez rapidement dans la série. C’était dommage, car c’est un acteur fabuleux. Je l’ai recruté sur Le Transporteur pour un personnage qui permet de parler de façon indirecte du métier de Frank Martin. On voit bien les différences de points de vue entre Olivier Dassin et Frank, et du coup, on en apprend un peu plus sur notre héros. Dhaffer incarne le côté obscur du Transporteur, mais il a aussi une histoire qui l’explique. Cela permet aussi de montrer que Frank possède un code moral. Il ne fera pas n’importe quoi pour l’argent tandis que l’âme d’Olivier est comme perdue.

Comment s’est déroulée la phase d’écriture de cette saison 2 ?

J’ai fonctionné à l’américaine, avec une writer’s room installée à Londres. J’ai travaillé avec quatre scénaristes, trois anglais et un canadien. On s’est vu trois ou quatre fois par semaine, de décembre à mars. Pendant des mois, on a réfléchi ensemble. Tout le monde a travaillé sur les arcs narratifs des autres, a donné ses idées. À la fin, chacun allait écrire son histoire de son côté.

Était-ce le même processus sur X-Files ?

Oui, tout à fait, on fonctionnait de la même manière, mais on se voyait cinq fois par semaine et on était six à huit scénaristes à travailler sur les épisodes. Le rythme était forcément plus intense à raison de 24 épisodes par saisons.

Vous est-il arrivé de modifier les scripts sur le tournage du Transporteur ?

Ça peut arriver. Je discute énormément sur le tournage avec Chris Vance et les réalisateurs de ce qu’ils ressentent, de ce qui ne marche pas finalement. La seule chose à laquelle je ne touche pas, ce sont les scènes de combat, car nous avons un chorégraphe fabuleux, qui était déjà là en saison 1 (Mohamed Elachi, ndlr). Il comprend parfaitement l’univers du Transporteur, qui se compose de nombreuses séquences de combat avec un style improvisé. On voit Frank utiliser ce qu’il a sous la main pour se battre, comme des béquilles ou des brancards s’il se trouve dans un hôpital. Par moment, ça ressemble à un ballet.

Partie 2 > La saison 3 du Transporteur, l’avenir de X-Files et de Hunted


Comment réussissez-vous à garder une certaine crédibilité par rapport à ces scènes très chorégraphiées ?

C’est un équilibre difficile à conserver en effet. On sait bien que Le Transporteur n’est pas une série franchement réaliste, mais elle se déroule dans un univers qui l’est. Si ça ne tenait qu’à moi, je ferais du Transporteur une série d’espionnage réaliste comme Hunted ! Je dois respecter la marque que représente Le Transporteur. Je pense déjà que certaines personnes vont dire que j’ai été trop loin. Personnellement, je ne le crois pas, mais c’est une question de point de vue et de goûts télévisuels.

Vous a-t-on demandé de refréner certaines envies ?

Disons que nous avons eu pas mal de discussions animées, concernant par exemple l’ajout d’un nouveau personnage. Comment suit-il les règles du Transporteur ? J’ai réussi à imposer mon point de vue, car je pense vraiment que ça marche mieux ainsi. Jusqu’ici, la saison fonctionne très bien au Canada et aux États-Unis. J’espère que ce sera aussi le cas en France. Je pense que les téléspectateurs veulent plus de réalisme et de complexité dans les histoires.

Savez-vous déjà si vous reviendrez diriger la saison 3 du Transporteur ?

Oui, je suis partant. Je prends beaucoup de plaisir à travailler sur cette série, qui est ma première coproduction européenne. Avant, j’avais travaillé sur Hunted, qui était une coproduction anglo-américaine.

Avez-vous eu des difficultés à gérer les désirs des uns et des autres, la façon de travailler des Français qui doit être différente de celle des autres par exemple ?

Il faut écouter les demandes et savoir rester humble, car les gens connaissent mieux leur culture et leur pays que moi. C’est d’ailleurs très dur de savoir quand ils ont raison et quand ils ont tort ! Je vis en Europe depuis quatre ans. Avant la France, où je me suis installé depuis cet été, j’habitais à Londres, et j’ai beaucoup appris. J’ai pris le temps d’écouter les gens autour de moi. On ne peut pas arriver avec ses gros sabots et faire n’importe quoi. Les gens travaillent différemment, mais j’ai l’impression d’avoir eu une collaboration harmonieuse et facile avec tout le département français.

Qui a le dernier mot sur les épisodes, M6 ou vous ?

Légalement, je n’ai pas le dernier mot sur Le Transporteur, mais moralement, oui. Ils ne veulent pas que je sois malheureux (rires). Et d’ailleurs, je ne veux pas non plus qu’ils soient insatisfaits. Nous avons trouvé un équilibre naturel dans la relation. Une série télé ressemble à un mariage, pas à une liaison (rires). Il ne faut pas se rendre misérable, car ça peut durer très longtemps !

Avez-vous discuté récemment avec Chris Carter des développements à donner à la franchise X-Files ?

J’ai déjeuné avec Chris il y a quelques semaines. Je ne peux pas vraiment dévoiler exactement la teneur de nos propos, mais nous évoquons la possibilité d’un retour de X-Files. Je ne sais pas encore si ce sera sur le grand ou le petit écran.

« Avec Chris Carter, nous évoquons la possibilité d’un retour de X-Files »

Qu’en est-il de l’évocation d’un spin-off de Hunted, la série d’espionnage avec Melissa George ?

À un moment, c’était sur le point de se faire et puis finalement non. J’aimerais tant y arriver, et je pense que Melissa George aussi. Elle est très bonne dans ce rôle et en plus elle vit en France aussi ! On se voit souvent. Donc je suis toujours en train d’essayer de trouver un moyen de faire ce spin-off à Hunted. D’autant que la série finissait sur un cliffhanger qu’il faut absolument résoudre (rires) !

En tant que scénariste, ne vous sentez-vous pas frustré sur une série comme Le Transporteur, où votre marge de manœuvre est beaucoup plus restreinte ?

On vit une époque formidable pour ceux qui font des séries. Je pense que c’est la meilleure période que l’on n’ait jamais connue. Vous pouvez faire un Hunted, ou un téléfilm pour Amazon comme The Man in the High Castle, auquel je viens de participer et qui est très excitant au niveau créatif. C’est très spécifique, et je sais que tout le monde ne va pas le regarder. Je trouve qu’on a un peu perdu le côté populaire des séries de nos jours. La plupart des scénaristes veulent faire leur Breaking Bad. Ils ont la liberté d’aller dans des sujets risqués, le budget qui va avec, et l’avantage d’écrire moins d’épisodes. Il y a plein d’avantages à se tourner vers le câble. Qui veut créer un gros show populaire de nos jours ? Je trouve ça dommage. On peut alterner et tenter les deux, c’est ce que j’essaie de faire. J’aime ce challenge de tenter de divertir un large public tout en proposant des shows de qualité.

Que pensez-vous de la qualité des séries de networks actuellement ?

Les chaînes ciblent désormais des marchés très spécifiques. De nombreux scénaristes de talent refusent de se frotter aux networks. Je pense que les networks essaient toujours autant de produire de bons shows. Par exemple, The Good Wife est une excellente série. C’est un peu l’exception, c’est vrai. Les networks essaient en ce moment de trouver comment intéresser une large audience, tout en ne sacrifiant pas à la qualité de la série. C’est dur. Toutes les grandes chaînes, qu’elles soient américaines, françaises ou allemandes, sont confrontées à cette problématique. Et ça change si vite... Je ne sais pas à quoi ressemblera la télévision dans cinq ans.

Et en même temps, on assiste à la télé à des retours-surprises comme celui de Twin Peaks qui aura droit à une suite en 2016. Qu’en pensez-vous ?

J’adore Twin Peak ! Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cette série a influencé la télévision. Elle a soufflé tout le monde à son époque ! On a réalisé ce que pouvait être la télévision avec Twin Peaks. Je suis très curieux de découvrir la suite, surtout avec David Lynch de nouveau aux commandes. C’est un génie ! Ce retour note aussi une certaine nostalgie, un peu comme les discussions que nous avons autour de X-Files. Les chaînes veulent une marque puissante, qui puisse se vendre facilement. Mais des gens comme David Lynch ou Chris Carter sont assez malins pour faire ce qu’ils ont en tête, et conserver leur intégrité. Donc même si les raisons sont cyniques, je leur fais confiance pour nous surprendre.