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Joël Santoni (Une famille formidable) : « Faire entrer un nouveau personnage, ça redynamise les autres. C’est pour cela qu’il faut en tuer de temps en temps »

Claire Varin
Publié le 06/10/2014 à 20:00 Mis à jour le 23/10/2014 à 13:43

A l’occasion de la diffusion de la saison 11 d’Une famille formidable, Joel Santoni a répondu aux questions de Toutelatele. Le réalisateur et scénariste a évoqué les nouvelles explorations de la série, ses envies pour la prochaine saison, ses personnages, les thèmes importants et ses influences.

Claire Varin : Cette saison tourne autour d’une intrigue criminelle alors qu’ Une famille formidable n’avait pas encore été vers ce genre. Pourquoi ce choix ?

Joël Santoni  : C’est quelque chose que j’ai tenté au moins sept ou huit fois. À chaque fois, on a commencé et puis on s’est arrêté en pensant que l’on n’y arriverait pas. On a baissé les bras en cours de route. Ce coup-là, on a persévéré et on est content. On a fait quelque chose à la Qui a tué Harry ? d’Hitchcock. C’est plus un mort encombrant dans un village. On flirte avec le polar sans jamais y être. Une famille formidable est une comédie de mœurs. Mais cette fois, dans les protagonistes, il y a un macchabée !

Cette saison, il y a quatre épisodes contre trois habituellement. Était-ce une volonté de la chaîne ?

C’était une demande de TF1 et notre envie aussi. On souhaitant en faire quatre, mais on n’était pas sur de pouvoir y parvenir dans les délais qui nous étaient impartis. Puis, comme on avait pris un peu de retard du fait qu’Annie a eu un petit problème de santé - qui s’est arrangé heureusement - on en a profité pour mettre au point le quatrième que l’on avait commencé d’écrire.

La prochaine saison se composera-t-elle également de quatre épisodes ?

En principe, on en fera également quatre la saison prochaine. C’est une discipline aussi intéressante de faire quatre épisodes. Ce n’est pas pareil. Ça donne plus de marche de manœuvre. On peut traiter plus en fond certains personnages dans la mesure où l’on a plus de temps pour parler d’eux.

N’est-ce pas compliqué de gérer les envies des comédiens quand on a un casting si important ?

Ce sont des acteurs qui se connaissent bien et qui aiment tourner ensemble. C’est véritablement un vrai plaisir de les gérer et de travailler avec eux. En tant que scénariste, c’est souvent compliqué et parfois frustrant parce qu’on n’a pas le temps de donner des choses longues à chacun. J’imagine qu’ils aimeraient avoir un peu plus à faire. Mais je n’ai pas trop de plaintes.

Les scènes de groupe et de repas, en particulier, sont réputées difficiles à tourner. Au fil des années, avez-vous trouvé votre plaisir de directeur d’acteurs dans ces scènes ?

Je confirme que c’est très difficile ! (Rires) Mais c’est vrai que j’ai un vrai plaisir à faire ces scènes. Les repas en famille sont une chose importante dans cette série. Parfois, on est vingt à table. Quand on pense au nombre de plans que ça implique et il y a les raccords regards... C’est assez compliqué. Ça prend beaucoup de temps. Ces jours-là, on tourne à deux caméras. Mais j’ai la chance d’avoir des comédiens qui jouent tout le temps. Ces scènes sont souvent très vivantes parce qu’ils jouent tous même quand ils ne sont pas à l’image. Et ça, c’est vraiment merveilleux.

Vous arrive-t-il de manquer d’inspiration pour continuer à faire vivre cette famille ?

C’est toujours difficile d’écrire un scénario. Mais je me suis rendu compte que dans cette série, on a la chance de pouvoir y mettre quasiment ce qu’on veut. À la condition de ne pas vouloir rester sur la comédie légère. On s’est donné la liberté de faire des choses que l’on n’aborde pas forcément dans la comédie. Aujourd’hui davantage, mais à l’époque, ce n’était pas évident. La drogue, la mort, le cancer ne sont pas des choses que l’on met dans les comédies normalement. Je me suis autorisé à faire ça depuis le début donc on a une plus grande marche de manœuvre dans le travail et moi, dans mon inspiration puisque je brasse au maximum « les choses de la vie ». Et Claude Sautet avait raison, c’est bien les choses de la vie, on y trouve des choses drôles, cocasses ou terriblement tristes, parfois. Cette saison, il n’y a pas de choses vraiment graves. Je pense qu’il y en aura plus dans la prochaine saison. De temps en temps, on a envie de permuter. Et je me rends compte que je nourris les comédiens de choses nouvelles à faire pour eux. Évidemment, c’est un challenge aujourd’hui. Un ami scénariste m’a dit : « Ça ressemble aux Rougon-Macquart ». (Rires) C’est vrai. Au fond, il s’agit de traiter de la vie à travers les mêmes personnages.

« La comédie permet de faire des choses qu’on aurait beaucoup plus de mal à faire sur un mode sérieux. »

On a le sentiment que les premières saisons d’Une famille formidable étaient plus âpres. Peut-être est-ce dû à l’esthétique des années 90. Mais diriez-vous que l’évolution de la série correspond une évolution de la télévision ?

C’est vrai que l’on était peut-être plus dur que l’on ne s’est autorisé à être dans les dernières saisons. À un moment, on s’est tellement amusés, peut-être sans s’en rendre compte. On a eu envie de choses drôles. Mais j’ai envie de renouer avec cette âpreté. Est-ce que ça a coïncidé avec une évolution de la télévision ? Peut-être un peu. Pourquoi avons-nous commencé alors qu’à l’époque c’était très culotté de mettre un mort au milieu d’une saison de comédie ? On l’a fait comme ça avec une espèce d’ingénuité et l’envie que ça se passe bien. Et on a réussi. Est-ce qu’après on s’est assagi inconsciemment ? Je ne pense pas. Parce qu’on a fait des choses assez folles. Je pense à la mort de Philippe Khorsand. J’avais envie de lui dire un dernier adieu. Et on a fait de la comédie noire. J’ai l’impression que l’on a toujours assez innové. tout cas, je revendique ce que j’ai fait. Je n’ai pas eu à supporter des brimades. Ce que j’ai fait, je l’ai fait au gré de ma fantaisie ou de mon absence de fantaisie, parfois (rires).

Le vaudeville fait partie intégrante de la série. Et parfois, vous allez avec culot vers des relations un peu incestueuses...

Je regarde beaucoup autour de moi. Et je suis agréablement surpris de voir autant d’audace. Il n’y a pas une volonté de ma part de faire un truc un peu gonflé, mais c’est intéressant de montrer ce qui se passe. Je n’ai pas peur de ce que ça va provoquer. La comédie permet de faire des choses qu’on aurait beaucoup plus de mal à faire sur un mode sérieux. Je pique un peu dans la réalité et puis, parfois, on est entraîné aussi par une mécanique chronogène dans les situations. On a le choix : on arrête une situation à un certain moment ou on ne l’arrête pas. En général, mon choix personnel est de ne pas arrêter. Surtout quand ça devient un peu dangereux. C’est bien de se mettre en danger. Et c’est souvent magnifiquement drôle. J’ai la chance d’avoir des comédiens qui ont un charme fou, donc les choses ne sont jamais vulgaires. J’aime oser avec eux. C’est un service qu’on se rend mutuellement d’aborder des situations que l’on pourrait trouver scabreuses et qui ne le sont pas parce que ce sont les choses de la vie.

Partie 2 > Les Beaumont, épicuriens et libertaires ; représenter l’homosexualité à l’écran ; Lost et Downton Abbey ; son projet avec Annie Duperey


Les Beaumont sont épicuriens et libertaires. Êtes-vous d’accord avec ces adjectifs et s’appliquent-ils à vous aussi ?

Épicuriens, oui. À un moment dans la saison, Jacques Beaumont est vraiment au fond du tonneau et Catherine lui dit « J’ai ce qu’il te faut ». J’ai fait en sorte que le public imagine qu’ils vont faire l’amour et en fait, elle lui coupe une tranche de terrine. Ça m’amuse de montrer que dans les moments les plus durs, ce sont des choses très simples qui peuvent faire repartir la machine. Et c’est une famille libertaire, et qui contrôle, en même temps, parce que les enfants ne sont pas élevés n’importe comment. Mais il y a la volonté de laisser les choses s’épanouir. Beaucoup des personnages sont proches de moi. Catherine Beaumont, c’est moi. J’aime bien aussi le côté encore enfant de Jacques Beaumont. Je suis à la fois l’homme et la femme dans ce couple. Ce sont des gens qui me ressemblent. Et libertaire ? Ca oui, je le revendique ! (rires) C’est bien que les gens s’octroient une liberté de penser qui n’est pas forcément celle d’un groupe ou d’un autre. Chaque famille - et chaque être humain - devrait inventer ses codes au fur et à mesure que la vie avance.

Lorsqu’on parle de la représentation de l’homosexualité, Une famille formidable et Nicolas sont souvent cités. Et on remarque que vous introduisez régulièrement des personnages, plus ou moins secondaires, qui sont homosexuels. Pouvez-vous expliquer ces choix ?

C’est une chose à laquelle je tiens beaucoup. Aujourd’hui encore, on le voit, il y a une grande forme de racisme par rapport à la sexualité. C’est une modeste contribution à ce qui devrait être. J’ai la chance d’avoir des personnages souvent sympathiques. Et je voudrais que les gens comprennent que l’homosexualité n’est pas une maladie. On se rend compte que dans beaucoup de milieux, c’est très compliqué d’être homosexuel(le). Et comme c’est une série populaire, j’essaie de dire aux gens :« Si votre fils, votre fille, a envie de faire un bout de chemin avec un mec ou une fille, laissez-le ou laissez-la donc faire ! » C’est très volontariste de ma part. Je regrette même peut-être un peu que ce ne soit pas plus présent. J’aimerais aller plus loin.

À travers Nicolas, vous avez montré l’homoparentalité quand la société française n’en parlait que très peu. Puis, il y a eu ce twist sentimental lié à la mort de Sébastien...

Encore une fois, je m’intéresse à la vie autour de moi et je regarde. Il se passe plein de choses qui ne sont finalement pas beaucoup représentées dans nos séries. Je vois ça un peu comme du militantisme. Et ça m’intéresse de faire vivre des personnages comme ça. Parce que je ne connais pas alors je me renseigne, je parle à des gens. Nicolas est un personnage que je voudrais faire vivre. C’est aussi très freudien, la mort de son meilleur ami. Effectivement, il va faire un bout de chemin avec Christine. Mais, on va découvrir que Christine ne l’aime pas vraiment. Pour moi, il n’est pas exclu que l’on découvre un amour autrement. Je crois que c’est quelqu’un qui peut avoir des envies différentes. De temps en temps, Nicolas rencontre une fille et une autre fois, c’est un garçon. Je pense que toute sa vie, ce sera comme ça. La vie est beaucoup plus intéressante que ce qu’on s’autorise à faire dans la fiction.

Au-delà du drame personnel qu’à dû représenter la mort de Philippe Khorsand, diriez-vous que sa disparition vous a obligé réinventer la série (dynamiques, changement de lieu, nouveaux personnages) ?

La mort de Philippe a été un drame terrible. C’était un ami très proche et un des piliers de la série. Il me faisait tordre de rire. On l’adorait. Sur le plan personnel, ça a été très dur. Et ça a été compliqué sur le plan dramaturgique, car ce personnage était le compagnon de jeu de Bernard. Et comme j’ai cette volonté de maintenir de l’enfance dans le personnage de Jacques, je ne voulais pas perdre ça. C’est Alexandre Thibault (Julien) qui a pris un peu le relais. Ce n’est pas pareil, mais ça joue sur la même tonalité. Pour l’instant, ça se passe bien. C’est un compagnon de jeu extraordinaire pour Bernard. Après, faire entrer un nouveau personnage, ça redynamise les autres. C’est pour cela qu’il faut en tuer de temps en temps (Rires). Ces dernières années, il y a eu des personnages nouveaux, qui sont apparus, qui ont disparu et réapparus. Lorsqu’on creuse les personnages - même après vingt-deux ans - je me rends compte qu’il y a encore des zones d’ombre. On travaille dessus à chaque fois.

« La vie est beaucoup plus intéressante que ce qu’on s’autorise à faire dans la fiction »

Quand les Beaumont se sont crashés sur une île déserte, on s’est dit Une famille formidable joue à Lost...

[Il coupe] Quand j’ai commencé à écrire, il n’y avait pas Lost. C’est une concomitance, comme il en arrive parfois. Je le dirais si je m’étais inspiré de Lost. Mais en l’occurrence, pas du tout. J’avais envie d’une île déserte. Parfois, il y a des décors où j’ai envie d’aller. Et puis, Robinson Crusoé était là avant tout le monde. Dans la première ou deuxième saison, je voulais un avocat [joué par Didier Sandre] limite malhonnête. Et j’avais un film en tête de Nicholas Ray, qui s’appelle Party Girl [Traquenard, en français, ndlr.] J’avais cette séquence où Robert Taylor - qui joue le rôle d’un avocat de la mafia - émeut un jury aux larmes en se servant de la montre de son père, mort. Et on se rend compte qu’il a complètement bidonné sa plaidoirie et que la montre appartient à l’huissier. Cette formidable séquence montrait beaucoup de choses. Je cherchais et je n’ai rien trouvé de mieux alors à la fin du film, j’ai remercié Nicholas Ray de m’avoir prêté sa montre. Donc par rapport à Lost, je me sentirais très à l’aise.

La référence à Lost est donc inexistante. Mais on pense à Downton Abbey devant les scènes de dîners au manoir (épisode 2 de cette saison). Êtes-vous sériephile ?

Je suis venu au cinéma et à la télévision en voyant des films. Je n’ai pas fait d’école, j’ai surtout regardé des films. Et j’ai compris en regardant des films, comme un peu la génération avant moi. C’est Rohmer qui m’a beaucoup aidé dans ce métier. Je suis très cinéphile. J’adore Downton Abbey. Et quand je me retrouve dans une situation où les choses ont à voir, je suis impressionné, comme de la pellicule, par Downton Abbey. J’avais vu quelques épisodes avant. Mais c’est drôle parce que j’ai continué la série à Madère en tournant l’épisode. J’adore les séries. Ma série préférée est The Wire, elle est peut-être même ce que je préfère au monde.

Avez-vous parfois peur qu’Une famille formidable s’arrête ?

Je pense qu’il y va comme de la vie, ça peut s’arrêter. Nous-mêmes, on se pose la question parfois. Si un jour, on pédale dans la choucroute, on n’y arrive plus ou si on s’ennuie, on s’arrête. Il ne faut pas que ça devienne une obligation. Pour l’instant, c’est un plaisir complet et on voudrait continuer comme ça. Tant que ça dure !

Vous avez récemment réalisé Marge d’erreur avec Annie Duperey (France 3) et vous avez aussi produit des téléfilms avec Bernard Le Coq. Ce sont des comédiens que vous accompagnez également hors d’Une famille formidable...

On est amis. On aimerait bien ne pas se quitter. J’ai encore un autre projet pour Annie. Et je vais essayer de produire son premier long métrage en tant que metteur en scène, d’après une de ses nouvelles. Annie sera un très bon metteur en scène parce que c’est une merveilleuse photographe. J’ai l’intention de l’accompagner le mieux que je peux. Quant à Bernard, il est associé dans ma société. Nous sommes en famille à la ville comme à la scène.