Toutelatele

Le créateur d’Off Prime s’explique sur les désaccords

Tony Cotte
Publié le 29/06/2007 à 00:44 Mis à jour le 11/04/2011 à 17:20

Tout a démarré d’une allégation publiée sur Wikipedia rapportant un désaccord artistique entre Christophe Fort, créateur de Off Prime et Simon Astier. Lors d’une interview accordée à Toutelatele.com, celui-ci, étonné, parlait plutôt de complémentarité. Pourtant, quelques jours après la publication, Christophe Fort nous a contactés pour apporter des précisions sur les différents dires de son ancien collègue et sur les réponses le concernant. Nous sommes ainsi parti à la rencontre de celui qui est à l’origine de Off Prime afin de mettre cartes sur table...

Tony Cotte : Simon Astier a été étonné en apprenant qu’il y aurait eu un quelconque désaccord entre vous et lui. Pouvez-vous confirmer la fiabilité de cette information parue sur Wikipedia ?

Christophe Fort : Oui, il y a eu un désaccord artistique. Je souhaitais être discret sur ce sujet, mais des choses inexactes ont été dites dans l’interview de Simon, notamment que mon travail était réduit à « trois feuilles écrites ».

Aujourd’hui, vous êtes crédité en tant que créateur de Off Prime tout en étant écarté du projet. Avez-vous un quelconque droit de regard ?

Contractuellement, j’ai un droit de regard mais j’ai vite compris qu’il ne peut s’appliquer que par voie juridique. Le droit d’auteur est tel que je peux m’opposer à certaines choses. Mais ce serait un boulot à plein temps. Et puis il faut relativiser, Off Prime n’est pas une Œuvre majeure du patrimoine qui mérite autant d’attention.

Du scénario et des dialogues du pilote que vous aviez entièrement écrit, que reste t-il sur le produit final diffusé à l’antenne ?

Il reste des parties d’intrigues et des bouts de dialogues. La scène avec Antoine De Caunes dans le café était jouée à la base par Bruno Solo. L’idée de la confusion entre lui et José Garcia vient de là. Dans l’ensemble, le traitement de la comédie n’est simplement pas le même dans le pilote. Dans l’épisode 1 réécrit par Alexandre et Simon Astier, on est dans du Vaudeville poussif avec ses clichés et ses quiproquos improbables.

Au final, est-ce la seule chose qui reste de votre travail ?

Il reste quelques situations mais la structure et le rythme ont été chamboulés. Les séquenciers millimétrés ont explosé pour laisser la place à des exercices basés sur du dialogue souvent pénible et répétitif. Je regrette également la suppression de la voix off qui permettait de ne pas s’encombrer de scènes explicatives, de fluidifier la narration et de porter un regard cynique sur les images. Et en dehors de l’écriture, l’habillage musical, constitué de standards pop/rock réorchestrés par des artistes connus, a également disparu. Le concept reste le même mais l’interprétation qui en est faite est nettement en dessous de ce que j’espérais. En fait, ça n’a plus grand-chose à voir !

« La bible » de la série, dont vous êtes l’auteur, est-elle aujourd’hui respectée dans l’évolution de Off Prime ?

Une bible reste un document figé. Il y a des intentions. On peut les interpréter de n’importe quelle manière. Ce qui donne le « la » de la série reste le pilote. Et les intentions du pilote n’ont pas été respectées.


Simon Astier parle de « confusion réalité / fiction ». De votre côté, s’agissait-il d’un élément important dans votre version ?

Simon n’a jamais vraiment compris et accepté le concept de la série. Il n’était pas à l’aise avec ce principe, ce que je peux comprendre mais dans cas là, on ne s’engage pas dans une série avec Virginie Efira qui joue Virginie Efira. Pour écrire des épisodes qui correspondent au concept, il faut connaître et jouer avec cette réalité. Simon ne connaît pas assez la télé pour en décrypter les travers qui vont servir la comédie. Off Prime était pensée comme une douce satire du milieu. Je me suis inspiré de faits réels pour la trame des synopsis. C’était marrant de se servir de discussions ou de vraies anecdotes et de s’en amuser. Simon, lui, connaît des clichés et n’a pas cette vision. On ne peut tout simplement pas écrire sur un sujet que l’on ne connaît pas. C’est également une des raisons pour laquelle la série, telle qu’elle est écrite actuellement, s’adresse davantage à un public adolescent. Le pilote s’adressait à un public féminin adulte et jeunes adultes. Mais je comprends que c’est difficile pour un tout jeune gars de 23 ans d’écrire pour une tranche d’âge dans laquelle il n’est pas encore entré. Un auteur n’écrit qu’à partir de sa propre expérience. Pour traiter les problématiques intimes, familiales et amoureuses d’une jeune femme de trente ans, il faut avoir fait l’expérience de quelques trucs.

Au cours de ses interviews, Virginie Efira présente son personnage comme odieux. Êtes-vous d’accord avec cette description ?

Je ne connaissais pas Virginie Efira. J’avais fantasmé un personnage sympathique et gaffeur. Mais lorsque nous avons parlé du rôle, Virginie trouvait qu’elle prenait un peu trop de claques dans la figure et paraissait un peu « neuneu ». Elle voulait incarner quelqu’un d’un peu plus « rentre-dedans », qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Je n’étais pas vraiment convaincu que cela serve au mieux la comédie mais on jouait avec son image et on ne pouvait rien lui imposer.

Un autre désaccord majeur avec Simon Astier semble être également la place de Virginie dans la série...

La promesse de la série est la « vraie » vie de Virginie Efira. C’est ce qui a été vendu à la chaîne. Les intrigues devaient tourner essentiellement autour d’elle. On a tendance à oublier cela dans les épisodes diffusés. A la base, Off Prime n’est pas une série « chorale » mais une production centrée sur une héroïne. Les intrigues de Carole, JB, Sam, etc... ne font pas partie de la promesse principale et sont censées servir les intrigues de Virginie. Mais quand on est à la fois comédien et auteur sur une série, je comprends qu’on soit tenté d’écrire un peu plus pour son personnage. C’est humain...

Comme vous l’avez dit précédemment, la série met en scène des situations qui ressortent pour la plupart du cliché que l’on peut avoir sur le monde de la télévision. Toute cette affaire autour de Off Prime, ferait-elle, à votre avis, une bonne intrigue pour la série ?

Peut-être, mais ça ne mériterait pas plus qu’une intrigue anecdotique. Et puis ce n’est pas une affaire, c’est juste de la comédie humaine. On a là des mécanismes psychologiques intéressants mais classiques, des enjeux de pouvoir, d’ambition, d’ego, d’avidité, de séduction, à la fois assez drôles et pathétiques.


Aujourd’hui, vous êtes scénariste indépendant et vous collaborez avec différentes sociétés de production. Quels sont vos rapports avec CALT ?

Ils sont quasi-inexistants. Il y avait deux visions d’Off Prime : celle de Simon et la mienne. On m’a dit que pour le bien du programme, la vision de Simon serait choisie. Je croyais sincèrement en ce que je défendais. Je n’ai cessé d’alerter tout le monde sur les risques pris en suivant la nouvelle orientation artistique. Le résultat et les performances de la série démontrent que je n’avais peut-être pas complètement tort. Contrairement à Simon, je ne crois pas que ce soit dû à la météo ou à la panne de courant de M6, ou alors une conjonction astrale défavorable ? Ah en fait c’est ça ! (rires)

La diffusion de la série s’achève à son huitième épisode ce samedi 30 juin. Pensez-vous que Off Prime a des chances de reprendre à la rentrée (l’interview a été réalisée avant l’annonce du tournage de la saison 2, ndlr) ?

Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’aurais pas été aussi patient que M6. A la place de Calt, j’irais vendre des cravates et si j’étais Simon Astier, j’irais le dire à mon frère !

Malgré vos différends avec Simon Astier, celui-ci a en revanche déclaré que vous aviez un « pif inouï » et une culture importante en matière de séries anglo-saxones. Il y a-t-il des concepts ou des productions étrangères que vous aimeriez adapter pour le marché français ?

A l’époque où j’étais chez CALT, Jean-Yves Robin (le Président, ndlr) avait envisagé un temps d’adapter Les Bougon. Mais ce n’était pas ma propre initiative. Je ne me suis jamais vraiment posé la question d’adapter une série. En revanche, j’adore celles de Ricky Gervais, notamment Extras. Je l’ai découverte quelques mois après avoir écrit le projet Off Prime. La manière dont il traite les célébrités qui jouent leur propre rôle était proche de ce dont j’avais envie pour la série. Quand j’ai travaillé sur la scène de Bruno Solo dans le café, je me demandais comment Gervais l’écrirait. Bon certes, il l’aurait mieux écrite (rires).


Quand The Office devient Le Bureau, que TF1 se penche sur une adaptation de Grey’s Anatomy ou encore lorsque des rumeurs annoncent qu’une Ugly Betty française pourrait voir le jour, considérez-vous ce procédé comme néfaste pour la création française ?

Cela peut être formateur. Il faut être honnête, en France, on n’a pas la même rigueur sur les scripts, les mécaniques et les structures. Si les chaînes demandent à adapter ces séries, c’est parce qu’on n’est pas encore arrivé à leur démontrer que l’on maîtrisait les mécaniques et les scénarii aussi bien qu’ailleurs. Et en toute sincérité, je ne suis pas très fan des adaptations. Pour faire un parallèle avec la musique, quand vous avez entendu I wanna hold your hand et que vous écoutez Je veux prendre ta main par Franck Alamo, vous avez tout de suite compris qu’on peut très vite frôler le désastre, voire le blasphème et finir en tournée avec Georges Chelon...

Et si vous ne deviez choisir qu’une seule et unique œuvre pour la proposer en France, laquelle serait-elle ?

Il y a 6 ans, j’aurais dit Six Feet Under, mais c’est inadaptable, on n’adapte pas des chefs d’œuvres, on pose le stylo et on la ferme. En revanche, je me nourris de plein de productions. Je viens de finir la première saison de Big Love et ça a une incidence sur le pilote d’une nouvelle série que je suis en train d’écrire. Je crois que c’est un fonctionnement classique. On ne peut pas créer à partir de rien. Quand je travaillais avec Alexandre Astier sur Kaamelott, et qu’il y avait un coup de mou dans les textes, il m’est arrivé de lui passer des dvd comme Big Train ou des trucs du genre. Et la machine repartait ! Disons que ça galvanise.

Vous venez d’évoquer un pilote d’une nouvelle série. Quels sont vos projets aujourd’hui... du moins ceux que vous pouvez évoquer ?

J’en ai un sur une femme flic, accro à la chirurgie esthétique et qui devient dealeuse pour payer ses opérations... Pas terrible hein ? Non, sérieusement, les diffuseurs attendent la plus grande confidentialité. En général ce sont les chaînes qui communiquent en premier sur un projet.