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Renaud Dély : « Le succès de 28 minutes prouve que les téléspectateurs n’ont pas besoin que l’on verse dans la démagogie et la provocation »

Paul Gratian
Publié le 03/08/2017 à 19:19 Mis à jour le 03/08/2017 à 19:37

Directeur de la rédaction de Marianne, Renaud Dély prend les commandes de 28 minutes tout au long de l’été. Tous les soirs de la semaine à partir de 20h05, les téléspectateurs peuvent donc le retrouver sur Arte dans ce talk dont il est co-intervieweur le reste du temps. Entretien.

Paul Gratian : Comment se déroule la présentation de 28 minutes ?
Renaud Dély : C’est un plaisir quotidien. Cette émission est un vrai collectif donc c’est agréable d’animer une équipe soudée et cohérente. Il y a une excellente ambiance et on s’amuse beaucoup. Ce sont de vraies vacances à la télévision. Bien sûr, l’actualité est grave et souvent triste, mais l’idée est de dire qu’il est possible de raconter cette actualité en faisant un pas de côté et en étant un peu plus dans la légèreté, car beaucoup des téléspectateurs sont en vacances.

On sent d’ailleurs une vraie complicité entre vous et les chroniqueurs autour de la table. Est-ce l’une des clés du succès de ce programme selon vous ?
Je pense que ça y participe largement. Pour qu’une émission fonctionne, il faut que tous les participants aient plaisir à travailler ensemble et c’est vraiment le cas avec 28 minutes. La télévision est un média qui peut être très pédagogique. Dans ce sens, ce programme permet d’expliquer et de réfléchir. Mais la télévision est aussi un média ludique. Si on est dans la bonne humeur et avec une bonne entente collective, on transmet davantage aux téléspectateurs, car ils ont plaisir à retrouver cette émission. C’est une vraie petite magie quotidienne.

« 28 minutes est une vraie petite magique quotidienne »

Au niveau des audiences, environ 400 000 fidèles suivent le talk chaque soir. Êtes-vous satisfait de ces performances ?
Oui, je trouve cela extrêmement satisfaisant. C’est énorme en plein été et avec des sujets difficiles comme la Grèce ou la Pologne par exemple. Il est très agréable de travailler sur Arte, car certes il faut de l’audience et que les émissions soient regardées le plus largement possible, mais on n’a pas d’impératifs commerciaux et, donc, on n’est pas obligé de faire n’importe quoi pour attirer le chaland. Ce succès prouve que les téléspectateurs n’ont pas besoin que l’on verse dans la démagogie ou dans la facilité et la provocation comme le font d’autres programmes sur d’autres chaînes.

Regardez-vous les audiences avec attention chaque matin ou préférez-vous vous attarder sur la qualité ?
Je pense qu’il faut les regarder, car les deux ne sont pas contradictoires. L’un ne va pas sans l’autre. La qualité et la différence par rapport à d’autres émissions de débat restent le plus important. Il faut installer une ambiance apaisée et agréable et traiter l’actualité différemment de ce qu’il se fait ailleurs. Mais on regarde aussi les audiences puisqu’il est inutile de faire la plus belle émission du monde si personne ne la regarde. Il faut constamment se mettre à la place du téléspectateur. Je n’anime pas 28 minutes pour me faire plaisir, mais pour essayer de toucher le plus grand monde et pour transmettre le plus d’information possible.

Malgré ce succès, l’émission reste cependant assez discrète. On n’en parle jamais quand on évoque la guerre des access par exemple. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’Arte et 28 minutes ne sont pas dans cette guerre. Ce n’est pas une chaîne belliqueuse et ses impératifs commerciaux ne sont pas les mêmes. On ne copie pas les autres et personne ne nous copie. De plus, le programme est maintenant bien installé puisqu’il est à l’antenne depuis cinq ans. Je pense que c’est une émission sereine. On sait que tout ne va pas être remis en cause sur un coup de colère par exemple. On est là pour longtemps donc il ne nous reste plus qu’à nous améliorer tous les jours.

« L’idée est toujours d’avoir un regard sur la culture au sens large »

Comment se déroule la préparation d’un numéro de 28 minutes ?
Chaque matin, il y a une conférence de rédaction au cours de laquelle on évoque les thèmes abordés et les invités. Ensuite, je pars écrire mes textes des différents plateaux et des sujets. Puis, on s’isole avec le rédacteur en chef pour discuter du déroulé de l’émission et pour établir un conducteur avec des questions et des thèmes que l’on veut aborder. On enregistre 28 minutes en fin d’après-midi dans les conditions du direct, mais il peut arriver que l’émission soit pleinement en direct quand l’actualité le nécessite.

Chaque jour, la première interview met en lumière des personnalités aux parcours très éclectiques. Comment se font les choix de ces invités ?
La rédaction en chef est en charge de la programmation. L’idée est toujours d’avoir un regard sur la culture au sens large. Je ne parle pas seulement de la culture élitiste. Le jeudi 27 juillet, on a, par exemple, reçu un spécialiste du bronzage. En plus de cette dimension culturelle, qu’elle soit artistique, littéraire, musicale ou historique, on essaie de trouver une dimension exotique grâce à des voyages autour du monde ou même en France. On met aussi en valeur les mélanges d’identité avec des personnes qui ont traversé plusieurs parties de la planète. On raconte souvent des trajectoires.

Cette dimension est-elle amplifiée du fait que nous sommes en période estivale ?
Surement, car l’été, il faut plus aller chercher l’actualité. De plus, soient les gens qui nous regardent sont en vacances donc ils ont envie qu’on leur parle de pays et d’époques différentes, soient ils restent travailler et ils ont la même envie, car ils ne sont pas partis. Cette aspiration existe tout au long de l’année, mais elle s’exprime peut-être plus fortement l’été.

« L’été donne l’occasion de s’intéresser à des pays ou à des problématiques dont on n’a pas le temps de parler tout au long de l’année »

Concernant les sujets de débats, est-il plus difficile de trouver des thèmes en cette période d’actualité moins dense ?
Il y a toujours de l’actualité, car l’information ne s’arrête jamais. L’été, si les grands événements sont moindres, cela donne l’occasion de s’intéresser à des pays ou à des problématiques dont on n’a pas le temps de parler tout au long de l’année comme la Pologne, le Venezuela… Ces pays, souvent écrasés par l’actualité des États-Unis, de la Russie ou du Moyen-Orient, réapparaissent au premier plan l’été. Grâce à notre dimension internationale, on arrive donc toujours à trouver des sujets.

Comment s’opère le choix de ces sujets ?
Après en avoir discuté, la rédaction en chef choisit. On essaye toujours de coller à l’actualité, de ne pas se répéter et de faire des numéros variés. On se détache des informations franco-françaises et on fait très peu souvent de politique. On ne parle jamais de petites phrases ou de soubresauts de la politique qui ne préoccupent que quelques éditorialistes et journalistes parisiens. On essaye toujours de faire des choix différents, mais fédérateurs.

Vous êtes aussi spécialiste de sport et vous avez animé plusieurs programmes consacrés au football à la radio. Aimeriez-vous traiter plus souvent de ce thème ?
Dans 28 minutes, je ne pense pas qu’on puisse consacrer une émission à une compétition sportive même si on en avait fait une l’année dernière sur les Jeux Olympiques. Le sport est une activité qui intègre de nombreuses dimensions différentes. En plus de la compétition sportive, il y a également des enjeux économiques, culturels, politiques et géopolitiques, des enjeux liés à la santé comme le dopage… Le sport raconte une grande part de la vie humaine dans d’autres dimensions donc on peut raconter des choses autour du sport par ces biais là.

« Être animateur et co-intervieweur sont deux métiers différents, mais j’aime bien passer de l’un à l’autre »

En plus d’animer l’émission l’été, vous êtes aussi co-intervieweur tout au long de l’année. Continuerez-vous la saison prochaine ?
A priori oui, une fois par semaine pour le numéro du vendredi.

Quel rôle préférez-vous ?
J’apprécie beaucoup les deux même si ce sont deux exercices différents. J’aime beaucoup l’animation, car il faut être accueillant et il faut rassembler des points de vue variés pour donner envie aux téléspectateurs de s’installer autour de la table avec nous. Il faut donc être en retrait tout en contrôlant le contenu de l’émission et en étant ouvert aux opinions opposées. Le rôle de co-intervieweur est plus dans la polémique : il faut aller chercher l’invité pour essayer de le mettre en contradiction. J’aime beaucoup ce rôle, car il m’amuse. En tant qu’animateur, je ne peux pas être incisif avec un invité et manifester mon désaccord avec lui, car je dois être plus œcuménique et rassembleur. À l’inverse, en tant que co-intervieweur, il faut être plus clivant. Il faut bien comprendre que ce sont deux métiers différents, mais j’aime bien passer de l’un à l’autre.

« Je ne suis jamais aussi content que quand j’ai appris quelque chose pendant l’émission »

N’est-il pas parfois frustrant de ne pas pouvoir participer aux débats en étant dans un rôle d’arbitre ?
Non, car j’aime bien écouter et apprendre. Je ne suis jamais aussi content que quand j’ai appris quelque chose pendant cette émission. Je ne suis pas là pour étaler mon savoir, bien modeste et imparfait, mais pour poser des questions de façon candide et naïve. Je me mets dans la peau du téléspectateur qui ne sait pas, car la plupart du temps je ne sais pas. Il faut toujours avoir envie d’apprendre.

Avez-vous des contacts avec Élisabeth Quin tout au long de l’été ?
Non, je ne l’embête pas pendant ses vacances. Elle me fait totalement confiance et elle ne vient pas me parler de l’émission non plus. Elle m’a souhaité bonne chance en partant et je la laisse profiter de ses vacances qu’elle a bien méritées.