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Samuel Etienne (Questions pour un champion) : « Dans mon contrat négocié avec France 3, je n’ai aucune garantie de longévité sur le jeu »

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Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 22/02/2016 à 17:51 Mis à jour le 05/03/2016 à 23:54

Benjamin Lopes : Vous arrivez à la présentation de Questions pour un champion. Comment s’est opéré un tel virage de carrière ?

Samuel Etienne : C’est quelque chose qui n’a pas été calculé dans le sens où au cours de ces vingt dernières années de journalisme, je n’avais jamais imaginé que je me dirigerais vers le jeu. Ça a été une vraie surprise. À la fin de l’automne 2015, FremantleMedia (la société de production de Questions pour un champion, ndlr) m’a appelé afin de me faire passer un test pour un jeu. J’ai été un peu surpris de leur appel et ils m’ont expliqué qu’ils avaient identifié des personnalités du paysage audiovisuel français qui n’avaient jamais animé de jeu, mais qui pouvaient avoir un potentiel dans l’exercice. Comme je suis un peu curieux, je suis allé à ce test qui consistait à présenter un jeu totalement différent de Questions pour un champion. La grande surprise pour moi a été que j’ai eu énormément de plaisir à réaliser cet exercice. Je l’avais préparé sérieusement, mais je ne m’attendais pas à autant de plaisir et comme c’est mon moteur professionnel, j’ai commencé à m’interroger.

Après ce casting, tout s’est-il enchaîné rapidement ?

Les semaines ont passé et je n’avais pas de nouvelles de FremantleMedia. Je me suis dit que les essais n’avaient pas été aussi concluants que j’en avais l’impression (rires). J’ai fini par recevoir un appel de France 3 à la fin de l’année me disant que Julien Lepers passait la main à Questions pour un champion, et on m’a proposé de prendre sa succession. J’ai été très surpris encore une fois, car je ne savais pas que France 3 était au courant du casting que j’avais passé, et de plus, car Questions pour un champion est pour moi l’archétype du jeu avec une longévité incroyable. J’ai demandé deux jours de réflexion même si au fond de moi j’avais déjà une petite idée de la réponse.

« J’avais toujours rêvé de présenter un journal télévisé aussi exposé que Le 12/13 »

Quels éléments ont fait définitivement pencher la balance pendant ce temps de réflexion ?

Pendant ces deux jours, je me suis enfermé chez moi et j’ai regardé tous les jeux qui existaient en France, sans exception, sur TF1, France 2 et France 3. Au fil des visionnages des jeux de Nagui, d’Olivier Mine, de Tex ou encore de Cyril Féraud, j’ai découvert que c’était un véritable univers et que chaque animateur avait son style, peut-être un peu plus que dans les JT. J’ai trouvé cette liberté intéressante avec plus d’espace pour imprimer son style. Surtout, j’ai réussi à me projeter assez facilement dans cet exercice. Je suis donc revenu vers France 3 et j’ai accepté la proposition.

Quitter la présentation d’un grand rendez-vous de l’information n’a-t-il pas été difficile ?

J’adorais présenter le JT et c’était pour moi une forme d’aboutissement. J’avais toujours rêvé de présenter un journal télévisé aussi exposé que Le 12/13. Et en même temps, l’exercice de la présentation d’un JT est très corseté et encadré. Il est assez difficile d’imprimer un style très différent de ses confrères. C’est un point qui m’a convaincu de ce changement, et c’est d’abord ça qui m’a séduit. Après, dans un deuxième temps, le fait que ça soit pour Questions pour un champion, avec cette longévité et cette force de la mécanique toujours aussi puissante, est ce qui a fini de me décider.

Le fait de remplacer un présentateur emblématique comme Julien Lepers vous a-t-il fait hésiter à accepter cette mission ?

Pour être tout à fait sincère, oui. Ça fait forcément un peu peur. Julien Lepers avait fini par totalement incarner le jeu. La question était naturelle de se demander si on pouvait dissocier les deux. L’analyse de France 3 est que la mécanique de ce jeu est extrêmement puissante et que quelqu’un d’autre pouvait l’incarner. Je n’ai moi-même pas tout à fait la réponse aujourd’hui, car je n’ai pas encore les audiences qui vont refléter le retour du public. En même temps, je commence à avoir un début de réponse. On a enregistré une première série d’émissions pour un mois d’antenne et le défi semble atteignable.

« Ce personnage d’animateur de jeu est beaucoup plus proche de ma personnalité réelle que celle du présentateur du JT »

De quelle manière vous êtes-vous préparé à l’animation d’un jeu dont les codes sont bien loin de l’information ?

Il y a eu deux aspects de préparation. Le premier est très mécanique. Dans les jours qui ont précédé les premiers enregistrements, on s’est entraîné avec des mécaniques à blanc où je lisais les questions avec la production. On a fait attention à mon ton, à ma voix, et à mon rythme. Dans Questions pour un champion, à chaque phase du jeu correspond un ton, une énergie et un phrasé. Par exemple, dans « Les 9 points gagnants », le temps que je mets à poser la question n’est pas tellement important. En revanche, sur « Le 4 à la suite », et « Le face à face », pour ne pas désavantager les candidats, il faut que ma voix soit la plus neutre possible et intelligible. Le deuxième aspect, plus sur l’énergie et la gestuelle, a été plus simple. J’ai juste eu à me laisser aller. Je pense que les gens qui ne me connaissent qu’au JT ont pu être surpris de ce choix et peuvent même douter de ma capacité à présenter un jeu. Il y a quand même assez peu d’univers qui sont aussi distants et distincts que ces deux-là. Dans le JT, j’avais un ton très posé et c’est ce que je recherchais, car c’est ma façon de raconter les informations, d’une façon pas trop anxiogène. Au fil des années, c’est un ton apaisé et calme que j’avais installé. Il est évident que ça ne fonctionne pas dans un jeu, car l’objectif est différent. Je suis là pour faire passer un bon moment aux téléspectateurs. Finalement, ce personnage d’animateur de jeu est beaucoup plus proche de ma personnalité réelle que celle du présentateur du JT. Je n’ai pas eu de vraies difficultés.

L’humour sera également au rendez-vous, un aspect que le public a rarement pu apercevoir chez vous....

Une des choses desquelles je pouvais souffrir dans le JT est qu’il était très difficile de faire des traits d’humour ou de jouer avec les mots. C’est quelque chose qui est pour moi très important au quotidien. C’est un plaisir qui me manquait un peu, même s j’avais pu l’exercer il y a un moment sur les antennes de Canal+ et d’I>Télé car la ligne éditoriale est quelque peu différente. À France 3, comme c’était une Grand Messe, je ne me permettais pas ces fantaisies. Les gens vont découvrir un autre personnage que je n’ai pas eu à inventer et à travailler, car il est proche de moi.

Pouvez-vous comprendre que ce changement à l’animation d’un jeu emblématique soit craint par les adeptes du programme ?

L’essentiel n’a pas été changé. Il y a pu avoir des inquiétudes sur les règles et le niveau assez élevé des questions de culture générale qui sont le cœur du jeu pour les fans de l’émission et de Julien Lepers. Ils vont être rassurés, car il n’y au aucune envie de modifier le niveau des questions et les règles, ça en fait la spécificité de Questions pour un champion. Le niveau des candidats reste extrêmement élevé.

« Je craignais que les candidats me disent que Julien Lepers avait une meilleure élocution »

Lors des tournages, on a pu observer quelques rappels à Julien Lepers dans votre phrasé. Comment ne pas tomber dans la caricature ?

Je l’ai remarqué, et un peu malgré moi, j’ai de temps en temps des gimmicks qui peuvent rappeler Julien Lepers. Je pense que cela vient tout simplement du fait que j’ai visionné énormément de numéros que Questions pour un champion en accéléré. Comme tout présentateur, j’ai un côté un peu éponge, et j’ai attrapé des expressions de Julien Lepers. Le plus grand piège aurait été de vouloir l’imiter. C’est impossible, car il a son propre univers en fonction de son caractère et son énergie, Dieu sait s’il est atypique, et c’est pour ça que j’étais assez fan. Ça aurait donc été une impasse pour moi.

La production vous rappelle-t-elle à l’ordre dans ces cas-là ?

La production comprend le processus. Elle conçoit bien le travail d’immersion dans cet univers que j’ai fait en amont et le fait que j’ai avalé beaucoup de numéros en très peu de temps. FremantleMedia sait très bien d’où ça vient donc ils me conseillent juste d’inventer mon style. C’est ce qu’il y a de plus agréable. Au fil des jours et des semaines, c’est ce travail-là qui va être intéressant, inventer son univers, son style, et sa musique.

Quels autres animateurs de jeu ont pu vous inspirer ?

J’ai regardé Julien Lepers, mais aussi beaucoup Nagui que j’ai découvert en animateur de jeu, un exercice dans lequel je ne l’avais jamais vu. J’ai été admiratif de son talent et notamment de son rapport aux candidats. J’ai également beaucoup regardé Cyril Féraud qui est très rafraichissant et qui apporte une énergie intéressante. Olivier Minne a aussi un rapport aux candidats qui est subtil, fin et intelligent. Il y a eu donc un côté éponge, mais progressivement cela va disparaître et c’est plus ma personnalité qui va se mettre en avant.

Avoir présenté le JT pendant des années vous a-t-il aidé dans un jeu comme Questions pour un champion où l’élocution du présentateur est très pointue ?

C’était une de mes grosses inquiétudes.... Je craignais que les candidats me disent que Julien Lepers avait une meilleure élocution. Ça m’embêterait que les candidats comprennent mal mes questions, car ça les pénalise. À mon grand soulagement, ils m’ont dit que mon élocution leur convenait, que j’étais clair, audible, et qu’ils avaient l’impression que je les aidais. J’ai été grandement soulagé. Et puis quand j’y ai réfléchi par moi-même après, je me suis dit qu’effectivement ça venait clairement du JT. C’est presque quinze ans d’animation, plus les années où j’ai fait de la radio, où les principales attentes qu’on a eues par rapport à moi était que l’élocution soit, sinon parfaite, extrêmement claire.

Quels autres aspects a pu vous apporter la présentation des JT à l’animation d’un jeu comme Questions pour un champion ?

Mis à part l’élocution, il y a aussi le travail sur la voix, le fait de, selon les phases du jeu, pouvoir adopter des tons différents. Et puis, le rapport aux candidats. Je m’en suis rendu compte dès le pilote. Dans le jeu, il y a des questions, mais aussi la phase d’échange avec les participants que j’essaie de développer un petit peu. Je suis convaincu que le héros du jeu n’est pas le présentateur, mais le candidat. Le téléspectateur est curieux des candidats, de leurs histoires et anecdotes, et de leur niveau de culture générale assez étonnant. Et moi, je suis très curieux des gens à titre personnel. Durant mes années de journalisme, j’ai notamment appris l’interview. Ces techniques sont reprises dans mes échanges avec les candidats dans un jeu. Ma curiosité reste la même et c’est même peut-être la phase que je préfère, car j’essaie d’en savoir plus sur eux et de les mettre en valeur. Je veux qu’ils passent un bon moment et qu’ils soient fiers d’avoir participé à Questions pour un champion. Au-delà du plaisir que je peux ressentir à présenter ce jeu, je me suis rendu compte que tout ce que j’avais appris dans le journalisme allait me servir. Ce n’est pas autant un virage à 90 degrés que ça peut sembler. C’était donc séduisant pour moi de ne pas repartir à zéro.

« Dans mon contrat négocié avec France 3, je n’ai aucune garantie de longévité sur le jeu »

L’objectif de France 3 est clairement de redresser la barre des audiences. L’habillage et le présentateur changent, mais quels sont les axes de développement pour impulser une nouvelle dynamique ?

Il y a une envie de poursuivre le développement du jeu sur les réseaux sociaux. Le compte Facebook de l’émission compte plus d’un million d’abonnés. L’échange avec les candidats est clairement un axe de progression pour moi, car j’estime qu’on peut les mettre plus en avant que dans le passé. Je pense que Julien Lepers était la star de l’émission et c’est aussi ça qui a fait la longévité de l’émission. C’était donc une bonne chose, mais je pense que pour garantir une nouvelle longévité, il faut changer cet aspect. J’aime y mettre le sourire donc si on peut rire ensemble on le fera. J’aime aussi faire des jeux de mots, des blagues à deux sous et que l’ambiance soit détendue, mais ça ne sera jamais au détriment des candidats. Il faut qu’on soit dans le jeu, mais pas dans la moquerie.

Dana Hastier, la patronne de France 3, a évoqué 18 mois minimum pour imposer cette nouvelle formule. Confirmez-vous ces chiffres ?

À vrai dire, je les ai découverts dans la presse. Dana Hastier ne m’a pas donné de chiffres. Ma mission est évidente, mais elle ne me l’a jamais exprimée. C’est tellement évident. Dix-huit mois me semblent être une bonne durée pour améliorer les audiences.

Vous n’avez donc eu aucune garantie quand vous avez quitté la présentation du JT de la mi-journée pour l’animation de Questions pour un champion ?

Je vais surprendre, mais oui. Je n’ai aucune garantie. J’aime relever de nouveaux défis et je l’ai montré plein de fois déjà. J’ai déjà quitté plusieurs rédactions et je suis incapable de me projeter une vie entière au même endroit, je change donc régulièrement de poste. C’est une prise totale de risque à chaque fois, car je n’ai pas la garantie que ça va fonctionner. Et c’est le cas encore. Dans mon contrat négocié avec France 3, je n’ai aucune garantie de longévité sur le jeu, notamment en cas d’échec. C’est-à-dire que si ce pari ne fonctionne pas, je n’ai pas de garantie de retourner sur un poste au JT à la rédaction de France 3. Je suis d’un naturel optimiste. Si jamais ça devait échouer, ça ne me choquera pas. J’ai vingt ans de carte de presse derrière moi et je sais que je travaillerai. Cette prise de risque me fait sentir vivant. Si on m’avait dit que j’allais faire vingt ans à la présentation du 12/13, j’aurais trouvé ça déprimant.

Vous ne partagez pas les mêmes ambitions que Jean-Pierre Pernaut sur TF1 à 13 heures apparemment…

(Rires) Il présente un JT un peu à part. C’est l’un des plus regardés d’Europe. Je peux comprendre quelque part que Jean-Pierre Pernaut soit dans un exercice de longévité. C’est un rendez-vous atypique quand on voit la part de marché encore à plus de 40% aujourd’hui. C’est une autre histoire. Quelque part, faire le même exercice vingt ou quarante ans, c’est quelque chose que je suis incapable de faire. Je fonctionne par cycle, et c’est pour ça que tous les quatre à six ans, j’aime bien me lancer dans de nouvelles aventures.

Questions pour un champion est un jeu emblématique pour de nombreux téléspectateurs. Quels sont les premiers retours des adeptes de l’émission ?

J’ai deux types de retour, si je ne prends que les membres des clubs et les fans. Ceux qui ne sont pas encore venus sur le tournage ont encore des inquiétudes, car ils sont très attachés à ce jeu. Il y a presque 180 clubs en France, c’est incroyable. Ces gens-là n’ont qu’une peur, au-delà du départ de Julien Lepers, c’est que leur jeu disparaisse. Et puis, il y a ceux qui sont déjà venus jouer ou dans le public. Les retours sont bons, ils sont soulagés et contents. Les fondamentaux n’ont pas été changés et le jeu n’a pas été transformé. Ces retours m’ont touché. L’objectif n’est pas d’être dans la rupture.

L’accueil des équipes qui travaillent sur l’émission a-t-il été aussi positif ?

J’ai découvert qu’une trentaine de personnages travaillait derrière Questions pour un champion. Je pense notamment aux rédacteurs des questions qui sont plus d’une dizaine et qui sont l’âme du jeu. Ce sont eux qui imaginent toutes les nouvelles séries de questions et qui vérifient mille fois la véracité des réponses. J’ai remarqué que ces gens étaient extrêmement attachés à l’émission et qu’ils ne pourraient pas travailler sur un autre jeu. En découvrant cette équipe attachante, je me suis aussi fixé pour mission que leur engagement auprès du jeu dure le plus longtemps possible.

On vous sait aujourd’hui investi à 100% dans Questions pour un champion. France 3 travaille actuellement sur d’autres jeux pour le week-end. Vous a-t-on évoqué la possibilité de tourner des pilotes ?

Très sincèrement, non. On ne me l’a pas fait miroiter et je n’ai pas posé la question non plus. Dans un premier temps, le défi est tellement énorme à relever que ça va me prendre toute mon énergie et mon attention. Certes le nombre de jours d’enregistrements par mois est assez réduit, mais à côté j’ai énormément de travail de préparation puisque je suis associé au travail des rédacteurs. Je ne veux donc pas me disperser. De toute manière, ça aurait été difficile que France 3 pense à moi sur un autre jeu alors qu’elle ne m’a pas encore réellement vu à l’exercice.

Est-ce la fin des animateurs stars selon vous ?

Je pense que les téléspectateurs sont aujourd’hui moins fascinés par les présentateurs qu’à une époque. Il y a plus de chaînes, d’animateurs, et c’est moins incroyable de passer à la télévision que ça ne l’a été. Sans être totalement banalisé, ça reste un moment important pour les candidats de participer à ce jeu. Je ne crois plus au présentateur vedette. On est là pour faire notre métier, faire passer un bon moment aux gens. Les héros sont les candidats. Les téléspectateurs aiment ce spectacle de gens qui leur ressemblent dans leur simplicité et en même temps qui ont parfois des choses étonnantes à raconter.

Le journalisme continue-t-il pour vous en parallèle ?

Non dans un premier temps, car je n’ai pas le temps. Je me rappelle d’une autre expérience dans ma vie professionnelle où j’ai trop cumulé. J’aime beaucoup travailler et j’ai du mal à accepter des propositions. À un moment donné, je faisais L’émission spéciale à midi sur Canal+, et j’avais insisté pour conserver mon émission de débat quotidienne sur I>Télé, N’ayons pas peur des mots. Et en plus, j’avais une hebdomadaire sur Planète. À l’issue de cette expérience, je me suis rendu compte que j’avais été trop gourmand. Quand on fait trop, parfois on ne donne pas assez à chaque rendez-vous en termes d’investissement. Aujourd’hui je m’interdis donc de faire autre chose que Questions pour un champion tant que je n’ai pas le sentiment que le pari est relevé. À moyen terme, je serai extrêmement triste et frustré de perdre tout contact avec le journalisme, car ça m’a construit.