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Rémi Lainé (Global gay) : « Je pense que Poutine se moque de qui couche avec qui »

Tony Cotte
Publié le 24/06/2014 à 15:10 Mis à jour le 04/07/2014 à 13:20

En 2013, Frédéric Martel publiait son livre ‘Global Gay’ en partant du postulat que la question gaie était devenue un bon critère pour juger de l’état d’une démocratie et de la modernité d’un pays. Le réalisateur Rémi Lainé, à qui l’on doit ’L’Amour en souffrance’, à l’origine du film ’Polisse’, ou encore ’Le monde s’arrête à Bugarach’, a été chargé d’en réaliser l’adaptation pour le petit écran. Pour Toutelatele.com, il revient sur les préparatifs de ‘Global gay, pour qu’aimer ne soit plus un crime’, diffusé ce 24 juin à 20h40 sur France 5.

Tony Cotte : Global gay, pour qu’aimer ne soit plus un crime est annoncé comme l’adaptation du livre de Frédéric Martel. Votre documentaire s’en éloigne pourtant, établissant exclusivement un état des lieux des droits dans les pays où affirmer son homosexualité est délicat...

Rémi Lainé : On va dire que c’est une adaptation libre. Frédéric a traversé 42 pays pour s’imprégner et se rendre compte des us et coutumes des différentes communautés. Il s’est intéressé à l’émergence du mouvement mondial pour les droits des homosexuels. Quand j’ai lu le livre, c’est ce dernier point qui m’a particulièrement intéressé, car il fait écho au mouvement pour les droits civiques aux États-Unis au début des années 60. Pour des raisons personnelles, j’en suis très sensible.

Vos caméras ne se sont pas rendues dans les sept pays où l’homosexualité est toujours passible de la peine de mort. Est-ce un choix ?

On ne pouvait pas se rendre en Irak, Mauritanie ou encore en Somalie où l’on pend ou décapite les homosexuel(le)s. Je tenais à ce que mes témoins soient à visage découvert. Je ne fais pas mon métier pour filmer des gens cachés. Le documentaire est une alliance de travail et cette alliance n’est pas possible avec des méduses ou des mosaïques. Certes ici, il s’agissait d’une question de sécurité. Aucun film ne justifie de mettre en péril la vie d’autrui.

Comment s’est déroulée concrètement la collaboration avec Frédéric Martel ?

Frédéric n’était pas sur le tournage ; le rôle d’un auteur est précis et délimité. Il m’a en revanche beaucoup éclairé et nous avions un contact constant. Je tiens également à souligner le travail de la journaliste Alice Gastine. Elle parle cinq langues et a pris en charge toutes les enquêtes préalables. On fixait des destinations idéales avec Frédéric et elle enquêtait. On tenait à ne pas survoler un pays, mais incarner la réalité vécue par les homosexuel(le)s.

Avez-vous observé des évolutions entre le rapport établi dans le livre de Frédéric et ce que vous avez vécu sur place lors du tournage ?

À Cuba, Frédéric avait constaté que les homosexuels étaient en marge et peu exposés. Certes, nous avions bénéficié d’une filière directement à la tête du régime avec Mariela Castro, figure de proue de la cause homosexuelle à Cuba et accessoirement fille de chef de l’État, mais nous avons surtout remarqué une véritable révolution dans la révolution. Longtemps, le régime cubain, au prétexte de transcender les valeurs de la virilité, a envoyé au camp de travail les homosexuels pour se débarrasser de leurs « habitudes bourgeoises ». Force était de constater que les homos s’embrassent désormais en public et se tiennent par la main le vendredi et samedi soir sur Le Malecón. Il y a une liberté affichée, une forme de libération très récente qui n’existait pas quand Frédéric a écrit son livre. Ça a été la seule pierre d’achoppement : il pense que nous nous sommes fait avoir par la propagande cubaine.

« Aucun film ne justifie de mettre en péril la vie d’autrui »

Les médias ont beaucoup parlé du cas de la Russie, ainsi que du Cameroun. Mais la situation dans les autres pays, notamment ceux où la loi prévoit la peine de mort, est rarement évoquée. Peut-on parler d’un manque de curiosité ?

Un certain nombre de pays méritent d’être mieux exposés. Mais il est difficile de traiter le sujet sans mettre vos interlocuteurs encore plus en danger. Ce n’est pas évident de trouver des gens érigés en fer de lance, comme peuvent l’être les jeunes russes. Dans mon film, on peut voir des Paulina, Maria et Anastasia très actives. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Vladimir Poutine les tient en horreur : elles sont structurées avec une grande ouverture sur le net et sont soutenues par des organisations internationales. Je pense que Poutine se moque de qui couche avec qui. Ce qui l’emmerde, c’est que des jeunes puissent être à ce point ancrés dans le militantisme.

Vous soulignez d’ailleurs le rôle important des réseaux sociaux...

Ça a pulvérisé l’omerta qui existait dans plusieurs pays. À ce regard, la situation du Cameroun est similaire à celle de la Russie. J’étais bluffé par le courage des jeunes. Ils sont prêts à se faire arrêter et faire de la prison. Le pouvoir camerounais a de quoi être inquiet : des humanistes tournés vers l’avenir et le monde, c’est tout ce que n’est pas cette cochonnerie de Paul Biya.

Partie 2 > La sécurité pour un tournage à l’étranger et son regard sur les chaînes privées


Avez-vous craint, à un moment donné, pour votre sécurité ?

On aurait pu craindre au Cameroun ; nous n’avions pas demandé les autorisations pour mener ce projet. On a usé d’un petit subterfuge et une fois sur place, on a fait ce qu’on voulait. Nous avons été sur surveillance. Au moment de repartir, j’ai eu un entretien avec un policier et je lui ai laissé un petit billet (10 euros) car il voulait me retenir et savoir ce que nous avions filmé. Mais ce n’est pas la Syrie ou l’Égypte ; il n’y a pas de raison d’avoir peur quand on est assuré de décrire une cause juste.

Dans son livre, Frédéric Martel constate que la libération gay « commence souvent avec les bars et les clubs, c’est à dire par le commerce et le marché ». Ces lieux sont pourtant peu présents à l’écran...

J’ai filmé un club au Cameroun, mais le directeur des lieux avait hésité avant de refuser à cause de la présence, sur place, de policiers et magistrats habitués. Le folklore homo, moi, ça me fait un peu chier, comme tous les folklores d’ailleurs. Et je ne suis pas sûr que ça ne renforce pas des clichés. La démarche c’est aussi de montrer aux gens que les homosexuel(le)s ne sont pas différents d’eux. Je n’ai pas filmé de Gay pride non plus. Même si elles ont tenu un rôle essentiel dans la structuration de ces mouvements, je préfère ne pas le montrer.

Quand vous tournez en Russie, une activiste cite une phrase de Gandhi («  D’abord ils t’ignorent, puis ils se moquent de toi, ensuite ils te combattent et à la fin tu gagnes »). Cet optimisme est-il partagé avec la majorité de vos interlocuteurs ?

C’est l’engagement d’une vie et donc de l’optimisme à marche forcée. Ils ont la foi des combattants et je la partage. Je conclus d’ailleurs mon documentaire par une phrase similaire (« La route est longue, mais le jour viendra », ndlr). Ces questions-là sont très conjoncturelles et dans l’air du temps. Après tout, dans la Grèce antique, être homosexuel était un signe de virilité. Si on remonte l’histoire, on peut voir à quel point tout ça peut changer.

« Prendre le téléspectateur par la main est une injure »

Vous avez été témoin de la violence de l’opposition dans différents pays. En comparaison, comment définiriez-vous la réaction des militants pour la Manif pour tous en France ?

Ici on pénalise l’homophobie. Au montage, nous avons longuement gardé une séquence où un curé affirme que l’anus est fait pour évacuer, pas pour le reste. Pour lui, l’homosexualité se résumait à l’acte de la sodomie et, visiblement, le cas des femmes lui échappait. Mais, en y réfléchissant, n’a-t-on pas les mêmes à la maison ? Je pense qu’on peut trouver très facilement un interlocuteur avec ces propos en France. Après, ce qui nous intéressait n’était pas l’homophobie de la rue, mais l’homophobie institutionnelle. C’est tout le propos du film.

Vous travaillez principalement pour France Télévisions et Arte. Ne pas faire de documentaire pour une chaîne privée est-il un choix ?

J’ai commencé sur TF1 quand la chaîne était déjà privatisée. Après il se trouve que TF1 ou M6 ont une conception du documentaire qui n’est pas la mienne. Il y a une volonté de formatage qui me révulse : prendre le téléspectateur par la main est une injure. J’ai la prétention de dire que je raconte des histoires et que je le fais bien. Je tiens à ce que mon travail puisse être compris par un gamin de 15 ans. J’ai d’ailleurs une anecdote : en 2007, Canal+ m’a commandé un documentaire sur l’impact du film Indigènes, programmé dans le cadre d’une soirée spéciale le samedi soir. Par erreur, ils ont diffusé la version internationale, sans le moindre sous-titre et sans commentaires. Ce n’était pas du tout abouti. J’étais anéanti ; je pensais que ma vie professionnelle se terminait ce soir-là. Au cours du week-end, j’ai reçu des appels pour me féliciter d’avoir pu imposer ça à Canal+. Le lundi, une amie productrice m’a appelé pour me féliciter des audiences : il s’agissait de la meilleure performance pour un documentaire de la chaîne cette année. Selon la courbe, il n’y avait aucun décrochage. C’est la preuve que le téléspectateur n’est pas bête et peut s’attacher à un film même s’il lui arrive de patauger de temps en temps.