Toutelatele

Alix Poisson (3xManon, Les revenants, Parents mode d’emploi) : « Les séries peuvent être passionnantes »

Claire Varin
Publié le 10/04/2014 à 12:19 Mis à jour le 20/04/2014 à 12:05

Après, Parcours meurtrier d’une mère ordinaire : L’affaire Courjault et La disparition, Alix Poisson retrouve le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, avec 3xManon. Une mini-série en trois épisodes, diffusée sur Arte, sur le parcours d’une adolescente dans un Centre Educatif Fermé. A cette occasion, la comédienne évoque son personnage (une professeure de français), la fiction, son travail avec le réalisateur, mais aussi Les Revenants et Parents, mode d’emploi.

Claire Varin : 3xManon est votre troisième collaboration avec Jean-Xavier de Lestrade. C’est aussi le réalisateur qui vous a donné votre premier grand rôle (L’affaire Courjault). Qu’aimez-vous dans son travail ?

Alix Poisson : Il m’a fait trois beaux cadeaux. Ce sont, à chaque fois, des trajectoires féminines, comme on en a peu à défendre. Il a un regard sur la féminité avec tout ce qu’elle comporte, qui est extrêmement subtil. Et comme il vient du documentaire, il a un souci d’avoir des sujets à la fois très forts et très proches des gens. Que ce soit la maternité ou la violence de la jeunesse, les sujets qu’il traite sont toujours essentiels. Ce sont des films qui peuvent faire réfléchir le téléspectateur et faire bouger notre société.

Cet aspect « politique » a-t-il une importance dans la manière dont vous envisagez votre métier ?

C’est une des raisons pour lesquelles j’aime travailler avec Jean-Xavier de Lestrade et d’autres réalisateurs. Nous, en tant qu’acteurs, on aime jouer toutes sortes de choses. Et je pense que toute ma vie, j’adorerai jouer autant des comédies que des choses beaucoup plus engagées. Quand on a la chance de faire un film qui est à la fois une fable, une belle histoire bien tramée, mais qui a, en plus, un arrière-plan politique, c’est une chance inouïe.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez participé au film 8 fois debout, produit par Julie Gayet ?

C’est un très beau film de Xabi Molia. Le personnage n’était pas très important en soi, mais était très bien écrit. Et il était au service d’une histoire que je trouvais très importante de raconter : celle de deux personnes, jouées par Julie Gayet et Denis Podalydès, qui, à un moment, perdent un peu pied et se retrouvent marginalisées. En plus, avec toute la poésie de Xabi, qui est très pudique et ne tombe jamais dans le pathos, ça montrait bien comment notre société pouvait déraper.

Dans 3xManon, vous incarnez une professeure de français. Comment avez-vous abordé votre partition qui était la transmission ?

L’écriture d’Antoine Lacomblez et Jean-Xavier de Lestrade rend hommage à tout ce corps éducatif, à ces professeurs qui ont la vocation chevillée au corps. Madame Barthélémy est très concrète. Elle est là, elle existe. Mais ce qui est très beau dans le film, c’est qu’elle devient presque métaphorique. Elle n’est pas juste une prof, c’est une passeuse. Le mythe a une grande importance dans le film et elle me fait penser au mythe socratique où tout à coup, il y a une maïeutique qui s’opère. Cette femme est là, pas seulement pour leur apprendre le français, mais pour leur donner les mots. Les mots pour faire une rédaction, mais également les mots pour la vie. Les mots, c’est une chance et c’est aussi une grande thématique de Jean-Xavier de Lestrade. Manon et Véronique Courjault sont des femmes qui n’ont pas eu la chance qu’on leur donne les mots chez elles. Et quand tout à coup, quelqu’un d’autre peut vous les donner, la porte s’ouvre.

« La violence n’est pas une fatalité et personne ne naît violent. Mais tout le monde peut le devenir s’il n’a pas eu les armes pédagogiques, éducatives pour passer par autre chose »

Le cinéma a produit quelques figures marquantes de professeur. Certaines vous ont-elles inspirée ?

Je ne voulais surtout pas copier des choses que j’avais vues au cinéma, car pour trouver Madame Barthélémy, il fallait d’abord partir du scénario et de ce que je voulais greffer autour d’elle. J’avais lu beaucoup de livres en amont, comme ceux de Serge Boimare, un fondateur de la pédagogie alternative que l’on voit dans 3xManon, créée sur les mythes et les contes. Quand on lit ses livres, c’est tellement concret. Il raconte des passages entiers dans sa classe. C’était très inspirant. Après, je voulais qu’elle dégage cette espèce de force tranquille qu’ont certaines personnes. Une sérénité intérieure inébranlable, qui fait que l’on se sent en sécurité à ses côtés. Donc j’ai pensé à différentes figures, mais ça va d’un prof de yoga que j’ai eu, au professeur Keating dans Le cercle des poètes disparus.

Elle se bat aussi contre un système...

Madame Barthélémy est complexe et ambivalente. Elle est capable dans certaines situations d’être parfaitement centrée et de paraître très calme. Et, à d’autres moments, si on touche à des fondamentaux qu’elle veut absolument défendre, elle est capable d’être extrêmement passionnée et virulente. C’est ce que j’aimais dans ce personnage. Dans ces réunions de synthèse, elle se fait le porte-parole de choses en lesquelles je crois beaucoup. La violence n’est pas une fatalité et personne ne naît violent. Mais tout le monde peut le devenir s’il n’a pas eu les armes pédagogiques, éducatives pour passer par autre chose que la violence. Avant d’être des criminels ou délinquants, ils sont victimes.

Partie 2 > Candice Renoir, Les Revenants et Parents, mode d’emploi


On a le sentiment que 3xManon aurait pu être une série. Quel regard portez-vous sur ce format 3x52 minutes ?

Quand c’est plutôt beau et réussi, on a envie que ça continue et on est un peu frustré. Mais 3xManon dure presque trois heures. Ça permet d’avoir cette complexité et ce suivi de certains personnages que l’unitaire n’offre pas. C’est un format, à la base anglais, que j’aime assez bien. J’ai vu des choses exceptionnelles dans ce format sur la BBC. Après, peut-être qu’il y aura une suite. Il y a un fort désir de Nicole Collet, la productrice, et Arte y réfléchit. Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez, également. Même s’ils ne tiennent pas à ce que ce soit trop rapproché, pour que ce soit aussi un portrait de génération.

Ces deux dernières années, on vous a vu dans plusieurs séries. Même si Candice Renoir n’est pas le même genre de développement que Les Revenants ou 3xManon. Jouer un personnage sur la longueur vous intéresse-t-il ?

C’est pour ça j’ai arrêté Candice Renoir. C’était une expérience très agréable avec une équipe super, mais je trouvais que le personnage manquait un peu de consistance. Quoi que l’on joue, ça dépend du projet. Mais je viens de finir de regarder la saison 3 de Borgen. Et je me dis que cette femme [Sidse Babett Knudsen, ndlr] a probablement eu un des plus beaux rôles de sa vie grâce à cette série. C’est d’une telle densité, d’une telle complexité, d’une telle richesse. Et dans ces cas-là, vous avez une palette de jeux à défendre que vous n’avez quasiment jamais, même sur un long métrage. Ou alors c’est le long métrage de l’année. Les séries peuvent être passionnantes. Quand c’est bien écrit, ça permet de creuser quelque chose très en profondeur et ça transforme le jeu.

Le succès international des Revenants a-t-il changé quelque chose pour vous ?

Le fait que le succès soit devenu international n’a pas changé grand-chose, si ce n’est qu’on était très surpris. C’était incroyable. On était très heureux. C’est un projet que les gens ont beaucoup aimé et qui a suscité une certaine admiration autant auprès du public que de la profession. On a eu des commentaires très élogieux et très sincères. Du coup, forcément, ça vous donne une petite visibilité et ça vous fait accéder à d’autres rôles. Mais ça marche pour de nombreux projets. Courjault, ça l’avait fait également. Dans un autre registre, Parents mode d’emploi, aussi.

Il y a une vraie attente de la saison 2 des Revenants, dont la production a pris beaucoup de retard. Cette attente devient-elle un problème pour vous ?

Je comprends et respecte complètement le travail de Fabrice Gobert. Si Fabrice et les autres auteurs prennent le temps, c’est aussi parce qu’ils ont un réel souci de qualité. Alors oui, ça met un peu plus de temps que ce que les gens espéraient, mais je suis sûre que c’est pour le bien de la série. Il vaut mieux attendre pour que ce soit exceptionnel plutôt que de le faire très vite pour satisfaire les attentes et que ce soit décevant. Et en ce qui concerne Les Revenants, je ne crois pas me tromper en disant que l’on est tous hyper partants. Et que tout le monde fera ce qui est dans ses capacités pour le faire entrer dans son emploi du temps. En ce qui me concerne, c’est le cas.

Dans Parents mode d’emploi, vous apparaissez comme la révélation comique...

C’est vrai que les gens étaient un peu surpris parce qu’après Véronique Courjault, La disparition, Les Revenants et 8 fois debout, les gens me disaient : « Ah, mais tu fais des trucs drôles aussi ? » Mais la comédie, je l’ai beaucoup travaillé avant, au Conservatoire et au théâtre. L’été dernier, j’ai fini Le Dindon de Feydeau, qu’on avait joué pendant trois ans. Pour moi, ce n’était pas une surprise dans le sens où j’ai toujours adoré ça. Après, quand vous commencez avec des rôles très tragiques, on a l’impression que vous ne savez faire que ça. Et à l’inverse, j’aurais commencé avec Parents, mode d’emploi et trois comédies, on se serait dit « Bon, elle est que drôle. Elle ne fera jamais un rôle de femme blessée. » Il y a des acteurs qui luttent avec ça. Là, c’est super, car je sens que ça ouvre le champ des possibles.

« J’aime beaucoup WorkinGirls car il y a une vraie audace »

Le programme court vous intéressait-il ?

Je ne me suis jamais dit « Tiens, ce format m’intéresse donc je vais y aller ». J’ai regardé comment c’était écrit. Il y a un vrai pole d’auteurs, et on a la chance que la prod insiste pour que nous puissions lire les textes avec Arnaud en amont. Avant chaque session, on fait une réunion où on lit les textes à la table tous ensemble. On fait des répétitions et on enlève ceux qui ne sont pas bien. On en retravaille d’autres. Il y a une vraie liberté là-dessus. La volonté de la production de rester dans quelque chose de très sincère, mais avec un humour un peu décalé, parfois presque politiquement incorrect, c’est ça qui me plaisait.

Certains auteurs de Parents, mode d’emploi écrivent aussi WorkinGirls. Regardez-vous cette série ?

J’aime beaucoup WorkinGirls. Il y a une vraie audace, une volonté d’oser un ton. Il y a des gens qui adorent et d’autres qui n’aiment pas justement parce que c’est hyper décalé. Mais c’est vraiment nouveau dans le paysage. Ça se ressent un peu dans Parents, mode d’emploi parce qu’effectivement, il y en a plusieurs qui viennent de là et on sent qu’il y a un souffle différent de ce que l’on voit d’habitude.

Peut-on évoquer votre scène avec Michael Caine dans le film Mr. Morgan’s Last Love ?

C’est un peu un rêve de faire une scène avec Michael Caine. C’est plus qu’une figure, c’est un mythe, qui, en plus, s’avère être un homme absolument charmant et très respectueux, y compris avec les petits rôles. Et la réalisatrice Sandra Nettelbeck a été une très belle rencontre. C’est vraiment une femme formidable, intéressante, qui a construit un très beau film.