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Anne Landois (showrunner, Engrenages saison 5) : « La saison précédente, on était trop sur des histoires de voyous »

Claire Varin
Publié le 08/12/2014 à 19:55 Mis à jour le 17/12/2014 à 15:05

A l’occasion de la diffusion de la saison 5 d’Engrenages sur Canal+, Toutelatele a rencontré la showrunner Anne Landois. La scénariste évoque ici les grands changements dans l’écriture de la série, les thématiques de la saison et ses personnages.

Claire Varin : En faisant une saison 5 intimiste, avez-vous souhaité faire un contre-pied à la saison 4 ?

Anne Landois  : La différence de travail vient principalement d’un changement de méthode. Jusqu’à présent, on partait d’une histoire policière, qui nous était racontée par notre policier conseiller. Et finalement, on avait des histoires très intéressantes au niveau du polar ; mais ça nous forçait un peu à mettre de côté la psychologie de nos personnages. On était un peu pris à notre propre jeu des rebondissements de l’intrigue policière et nos personnages avaient parfois du mal à trouver leur place dans les événements. Le travail que j’ai voulu faire était de partir d’abord des personnages. Ça a été un travail beaucoup plus posé. On avait envie de faire quelque chose sur le thème de la famille, à la fois qu’on s’invente, des liens du sang, des liens de cœur, etc. Et ce travail en profondeur sur la psychologie des personnages nous a donné l’élan et a permis d’avoir comme moteur premier ce qui était constitutif de nos héros et non plus l’intrigue. Ils travaillent, ils suivent l’intrigue, mais on est avec eux tout le temps parce qu’on sait où ils en sont et ce qu’ils vivent intérieurement.

Engrenages est une série ancrée dans le réel et feuilletonnante, d’une certaine façon, on a toujours été avec ses héros. C’est donc un changement à la fois très subtil et radical...

L’idée était quand même de continuer à faire Engrenages, mais tout en renouvelant la série. On a tous participé à ça. Même la mise en scène est différente de celle des saisons précédentes. Quand on arrive à une saison 5, on est obligé de se dire : qu’est-ce qu’on va montrer de nouveau aux téléspectateurs ? Et comment va-t-on vendre la série ? On ne peut plus vendre Engrenages en disant : c’est une série réaliste qui se déroule dans le milieu judiciaire. C’est une série que les téléspectateurs aiment et attendent, avec des codes intégrés et qu’ils connaissent, donc sur quoi doit-on travailler pour la renouveler et faire que les gens ont encore envie de rester ? Et la seule solution était de travailler sur l’intimité des personnages.

Était-ce un pur besoin de renouvellement ou étiez-vous moins satisfaite par la saison 4 ?

Je ne peux pas du tout dire que j’ai été insatisfaite par la saison 4. C’était une très belle saison. Mais je sais comment elle a été fabriquée et combien elle a été compliquée à fabriquer à cause de ça. Nous étions, nous-mêmes, débordés par toutes les intrigues policières que l’on avait mises en place. En termes de méthodologie, la complexité de cette saison nous a fait réfléchir à une nouvelle façon de travailler. On était trop sur des histoires de voyous. Il y en a beaucoup dans la saison 4. La directrice de casting s’est arraché les cheveux. Et j’ai eu le sentiment qu’en saison 4 on s’est énormément concentré sur les intrigues policières et moins sur nos héros. J’étais plus frustrée qu’insatisfaite. Les comédiens d’Engrenages sont formidables et je les trouve tellement inspirants que j’avais un manque. C’était dommage de ne pas avoir été plus loin sur eux.

Cette saison 5 marque une forme de retour aux sources en termes d’interactions entre vos héros...

Dans la saison 4, chaque histoire était parallèle. Ça manquait d’interactions à notre goût et sans doute, aussi, au goût des téléspectateurs. Dans Engrenages, il est intéressant de mettre un « engrenage » commun à tous nos héros. On a envie de les voir interagir les uns avec les autres. Tant qu’à faire quand on a une série chorale ou polyphonique comme Engrenages, c’est que chaque partition se répercute sur le personnage avec lequel il travaille ou avec lequel il vit ou qu’ils sont en conflit. C’est ce qui nous intéressait et c’est pour ça qu’on a réuni tous les personnages autour d’une même enquête. Et pour moi, c’est extrêmement payant parce que ça provoque des clashs ou des rapprochements. Pourquoi ne pas faire travailler ensemble le juge Roban et Pierre Clément ? Jusqu’à présent ils étaient collègues, ils étaient amis avec beaucoup de respectabilité. Et les voir travailler ensemble qu’est-ce que ça va changer à leur amitié ? On ne savait pas du tout sur quoi ils allaient travailler ; mais on savait que le fait de travailler ensemble allait faire exploser leur amitié. Et c’est à partir de ce genre de schéma relationnel que l’on a bâti la saison 5.

« On était un peu pris à notre propre jeu des rebondissements de l’intrigue policière et nos personnages avaient parfois du mal à trouver leur place dans les événements »

La mort de Pierre Clément est-elle une décision artistique ou un choix du comédien ?

C’est d’abord une volonté de l’acteur. Grégory Fitoussi est un acteur qui tourne énormément. Il a beaucoup de succès et est en train de faire une très belle carrière internationale. Il avait de plus en plus de mal à conjuguer à la fois des tournages en France et à l’étranger. Engrenages, c’est huit mois de tournage. Ça demande beaucoup de disponibilités. Et pour lui, ce n’était plus possible. On a énormément regretté cette décision de sa part, mais après on en a fait une force dramatique. On s’est dit : Ok, on va raconter comment cet avocat sort de la saison. Et quel impact ça va avoir sur nos autres héros.

À travers la mort de Clément, vous relancez la thématique du deuil, exposée en début de saison...

Exactement. Et cette thématique du deuil en milieu de saison nous permet aussi de rapprocher Laure et Joséphine puisque c’est ce que l’on voulait faire. Donc là encore - cette haine avocate-flic, qui est constitutive d’Engrenages depuis le début - on était arrivé au bout de quelque chose. On avait aussi envie de voir autre chose s’installer entre ces deux femmes. Et pour que quelque chose d’émouvant puisse se tramer entre elles deux, il fallait quelque chose de dramatique. Et la mort de Pierre nous a permis de tisser une relation nouvelle entre elles. Même si c’est très pudique parce que ce sont deux femmes qui ont toujours été à couteau tiré. Elles n’ont pas perdu la mémoire de ça. Mais petit à petit, elles vont se rendre compte que ce sont deux femmes qui se ressemblent, finalement, et qui ont du respect l’une pour l’autre.

L’idée de la thématique autour de la maternité de Laure (Caroline Proust), qui entre en résonance avec l’enquête. est-elle venue tôt ?

C’est la première idée que j’ai eue. J’avais vraiment envie que la saison 5 soit le prolongement de la saison 4. Et pour relancer quelque chose de nouveau dans la vie de Laure, la maternité s’est imposée à moi. Laure est en deuil, elle est enceinte et elle ne sait pas de qui. Ces deux émotions absolument terribles, de porter à la fois la mort et la vie, étaient ce qui allait complètement irriguer toute la saison. Et comme tout le monde est un peu en deuil au début de la saison, parce que la mort de Sami a été une déflagration, c’était aussi l’occasion d’aller creuser un peu du côté de Gilou. Il en est où de sa vie ? Qu’est-ce qu’il veut faire de sa vie ? Toutes ces questions-là sont vraiment les points de départ de la saison sans même savoir quelle allait être l’enquête. C’est vraiment un travail en profondeur que l’on a fait sur nos personnages, qui peut paraître très théorique, mais finalement on a complètement suivi la ligne que l’on s’était imposée dès le départ. Ensuite est venue l’histoire policière, qui ne fait qu’éclairer tous les fils que l’on avait préparés.

Pouvez-vous parler de l’évolution de Joséphine (Audrey Fleurot), qui après une saison 4 assez dramatique (tentative de suicide) s’était adoucie et qui, après la mort de Pierre, fait son retour dans un gros cabinet d’avocats ?

Ce que l’on s’est raconté sur Joséphine, c’est qu’elle voulait se racheter. Se racheter une réputation auprès du barreau et se racheter aux yeux de l’homme qu’elle aime. La fin de la saison 4, elle est clairement avec Pierre, mais elle l’a frôlé. Elle comprend que Pierre est l’homme qui va lui sauver la vie, en quelque sorte puisqu’il la stabilise alors qu’elle n’a jamais eu de tuteur sur lequel s’appuyer jusqu’à présent. Et ce désir de ne pas gâcher cet amour est son moteur premier. C’est vraiment quelqu’un qui est prêt à faire des efforts pour changer, pour conserver l’amour de l’homme qu’elle aime et une fois que cet homme a disparu, qu’est-ce qui lui reste, à part ce qu’elle sait faire ? La façon dont elle s’installe dans ce cabinet d’avocats et évince Edelman, c’est surtout pour tenir le coup. C’est moins par ambition que par besoin de chercher un abri. Sinon elle s’écroule et elle le sait. Elle fait un peu le trajet inverse de tout le monde. C’est-à-dire qu’elle décide de changer et puis finalement, elle revient un peu à ce qu’elle était.

Cette saison, on vous présente comme la showrunner. Ce poste vous rend-il plus efficace et cette « nouvelle » organisation va-t-elle permettre des délais plus courts entre les saisons d’Engrenages ?

On l’espère. Il faut savoir qu’on a fait la saison 4 en 33 mois. Ce qui est énorme. En revanche, sur la saison 5, on a gagné beaucoup de temps parce qu’on a fait une grosse arche en 6 mois et on a écrit et tourné et monté en 12 mois. La saison a été fabriquée en 18 ou 20 mois environ. On a déjà gagné 13 mois sur la fabrication. Evidemment, on essaie tous de raccourcir les délais entre les saisons. J’ai commencé à attaquer l’écriture de la saison 6. J’essaie de gagner du temps à chaque étape. Mais c’est vrai qu’à un moment il faut comprendre que l’écriture, c’est super dur ! Et on lutte tous les jours pour essayer de trouver des solutions, mais ça reste néanmoins quelque chose de très artisanal. J’espère que là, on mettra autant de temps que la saison 5. En tout cas, il ne faudrait pas que l’on en prenne plus. Mais ça reste extrêmement complexe à faire, surtout sur une série feuilletonnante. Si c’était des épisodes bouclés, ce serait plus simple. Mais quand on écrit Engrenages, on n’était ni plus ni moins qu’un film de 10 heures. C’est assez costaud.

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