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Christophe Delay et Pascale de La Tour du Pin (BFM TV) : « On construit une télévision du matin qui se regarde autant qu’elle s’écoute »

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Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 09/06/2015 à 06:38 Mis à jour le 09/06/2015 à 14:13

Christophe Delay présente La première édition de BFMTV depuis 2007, tandis que Pascale de La Tour du Pin l’a rejoint en 2010. Véritable référence auprès du public Français avec plus de 12% de part de marché chaque matin, la matinale de BFMTV est la deuxième plus regardée de France. Les deux présentateurs ont fait le bilan pour Toutelatele. Rencontre.

Benjamin Lopes : Depuis septembre 2014, 422 000 téléspectateurs suivent en moyenne la matinale de BFMTV entre 6 heures et 9 heures, soit plus de deux fois le score d’I>Télé. Quelle satisfaction en tirez-vous ?

Christophe Delay : On est content, mais on ne se le dit jamais pour vous dire franchement les choses. C’est un peu dans l’état d’esprit de la maison. C’est-à-dire qu’on est conscient de la fragilité des chiffres. C’est tellement facile de basculer sur le canal d’à côté, ou un peu plus loin, qu’on est toujours sur le qui-vive. Nous sommes toujours en quête de la petite différence qui va nous permettre d’avoir le sentiment qu’on ne s’est pas levé pour rien et également qu’on a informé et surpris les téléspectateurs.

Pascale de La Tour du Pin : Nous sommes satisfaits de ces scores, après on sait qu’on a encore une marge de progression face à nos concurrents. On est dans cet état d’esprit là, c’est-à-dire axé sur le futur.

Scrutez-vous les audiences de votre matinale ?

C.D : Pas vraiment, on n’a pas les yeux rivés dessus. Evidemment, de temps en temps, Hervé Béroud (directeur de l’information de BFMTV, ndlr) nous donne des chiffres et on regarde millimétriquement pourquoi l’audience a pu fluctuer. Parfois c’est à cause d’un écran de publicité un peu long, mais il faut faire avec. Au final, on n’est pas obsédé par l’audience.

En frontal avec Télématin, vous captivez 452 000 Français (12% de PdA) du lundi au vendredi. L’écart est resserré chez les 15-49 ans avec seulement 127 000 téléspectateurs. Dépasser le vétéran sur cette cible stratégique est-il un objectif à court terme ?

C.D : Je comprends très bien que le cœur d’audience de Télématin soit plus âgé que le nôtre, car nous on va vite, et même peut être parfois trop vite. William Leymergie a un rythme plus cool et c’est peut-être de ce côté-là que nous devons nous inspirer. Nous sommes sur-vitaminés. Ce chiffre ne nous étonne donc pas. On a un public plus urbain, plus jeune et qui a moins de temps à consacrer à l’information. Il est ainsi peut-être plus rapidement informé sur le « hard news ».

ANALYSE : La guerre des matinales

On a vu que BFMTV pouvait être première chaîne de France sur les grands évènements. Devenir leader sur la matinale vous semble-t-il possible ou estimez-vous que Télématin est indéboulonnable ?

C.D : Télématin n’est pas indéboulonnable, mais ça prendra très longtemps si ça devait arriver un jour. Et il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, car il existe une habitude forte, et il y a aussi une personnalité emblématique avec William Leymergie. Et enfin, je pense que la notion de service public doit y jouer pour beaucoup aussi.

Entre 2007 et 2015, entre 6h30 et 9 heures, les historiques ont cédé du terrain et le média TV a gagné 400 000 téléspectateurs. Finalement, est-il plus difficile de détourner le public de la radio, et changer les habitudes, que prendre le public de la concurrence ?

P.L.T.P : Je pense que notre atout majeur est que nous avons eu une actualité très forte ces dernières années. La force de la télévision, qui intéresse les téléspectateurs du matin et qui peuvent être des anciens auditeurs de la radio, c’est l’image. On a eu des images très fortes, même cette année et le public est demandeur de ce type d’information. C’est une véritable plus-value.

C.D : Les téléspectateurs trouvent aussi peut être leur compte chez nous à deux points de vue. Le premier, c’est que les gens qui aiment la radio retrouvent le même rythme sur BFMTV. Avec Pascale (de La Tour du Pin, ndlr), on est des gens de la radio. Moi, j’ai été élevé à Europe 1 pendant quinze ans, et Pascale sur BFM Radio pendant quelques années. La deuxième chose dont on a bénéficié c’est la flexibilité et le confort d’écoute du média télé. On nous regarde sur tablette et smartphone, un peu comme le poste transistor de nos grands-parents. Ça facilite évidemment les choses. En termes d’écriture, on construit une télévision du matin qui se regarde autant qu’elle s’écoute. C’est-à-dire que si vous fermez les yeux, vous êtes bien informé. Et si vous avez envie de voir le but de Zlatan Ibrahimovic par exemple, vous levez les yeux et vous le voyez. C’est ce produit de facteurs qui fait que la matinale est intéressante commercialement.

« Nous sommes toujours en quête de la petite différence qui va nous permettre d’avoir le sentiment qu’on a informé et surpris les téléspectateurs »

Comment peut-on se différencier d’une autre matinale tout info, que ce soit I>Télé ou LCI ?

P.L.T.P : On a toujours eu un ton qu’on a imposé ensemble. On ne rentre pas forcément dans les codes classiques et on a une certaine liberté, on se tutoie. Il existe une ambiance chez nous qui n’existe par ailleurs. L’atmosphère que nous avons instaurée nous permet de nous différencier clairement des autres matinales.

C.D : J’ajouterai qu’il y a une forme de dinguerie et de folie à créer quelque chose alors il est totalement imprévu. C’est-à-dire que si je prends l’exemple de ce matin (le 5 juin, ndlr), l’idée de Jean-Rémi Baudot (journaliste BFMTV, ndlr) de se mettre sur un cours de tennis, équipé d’un micro, a été décidée sur un coin de table la veille et personne n’a trouvé ça délirant. On a eu quelques problèmes techniques, mais on s’en fou. J’assume totalement de prendre le risque maximum sans que nos patrons viennent nous pourrir.

Comment faites-vous évoluer la matinale tant dans les chroniques que dans le conducteur si vous n’avez pas les yeux rivés sur les audiences ?

C.D : L’idée c’est de ne jamais être satisfait totalement de ce que l’on a fait. C’est mon moteur, car le jour où j’attendrai une certaine routine et où on aura plus d’idée, ça ne m’intéressera plus.

P.L.T.P : On se demande très régulièrement ce qu’on peut améliorer sur la matinale. C’est un travail continu.

Télématin est inspiré de Today sur NBC, diffusé depuis 60 ans. Avez-vous des modèles étrangers ?

P.L.T.P : Pas vraiment car on essaye justement de ne pas s’inspirer de modèles étrangers ou de ce que peut faire la concurrence. Ça nous permet tout simplement d’être originaux. Souvent, quand on regarde ce que fait la concurrence, que ça soit en France ou à l’étranger, on a tendance à vouloir reproduire la même chose. Là, nous avons notre propre fraîcheur et on peut se distinguer. C’est peut-être ce qui fait aussi la personnalité de cette matinale.

Comment pensez-vous que va tendre la matinale à terme pour le renouvellement ? Vers encore plus d’info ou encore au contraire, plus de rubriques de divertissement à la façon des matinales américaines ou anglaises, même si vous n’avez pas de modèle ?

C.D : On veut pouvoir de temps en temps être capable de casser le « rubriquage ». On réduit parfois certaines chroniques pour laisser un peu plus de place à du talk ou à un invité. La réflexion est plutôt dans ce sens là. Cependant, je ne voudrais pas que la matinale de BFMTV devienne un talk-show. À chacun sa spécificité. Il existe encore des rigidités et c’est sur cela qu’on travaille.

Sur une chaine info, l’info prime, à l’inverse de Télématin. Est-on donc confronté à ne proposer qu’une matinale tout info même si vous apportez un ton souvent différent avec un peu plus de légèreté ?

P.L.T.P : Lorsque l’on apporte un élément extérieur un peu plus léger, c’est toujours lié à l’information. Quand Anthony Morel (chroniqueur Culture Geek, ndlr) vient sur le plateau, c’est jamais gratuit et préparé longtemps à l’avance. Il organise sa chronique la veille pour le lendemain pour que ça soit toujours lié à l’actualité. L’ADN de la chaîne c’est l’information donc on reste dessus. On n’ira pas vers du divertissement pur et dur.

« L’atmosphère que nous avons instaurée nous permet de nous différencier clairement des autres matinales »

Pascale de La Tour du Pin, vous avez jeu de nombreux fous rires en plateau, qui ont même donné lieu à un bêtisier de la matinale de BFMTV fin 2014. Cette légèreté est-elle définitivement entrée dans les codes de cette matinale ?

P.L.T.P : Le problème c’est que Christophe Delay se marre autant que moi, mais qu’il a un rire qui est moins sonore (rires). C’est vrai qu’on se permet de rire aussi. Je pense que les gens partagent avec nous cette bonne humeur et on assume totalement.

C.D : On ne peut pas dire réellement que c’est rentré dans les codes de la matinale, car rien n’est préparé. On s’est rendu compte, que hors antenne on discute des sujets, on a des coups de gueule parfois et des coups de cœur. Lorsque le retour plateau vient, tout le monde se raidit et puis l’émission reprend. J’ai instauré l’idée de continuer ces conversations. Il n’y a pas de raison si nous avons un débat que nous ne fassions pas rentrer le public dans les coulisses. Ce n’est pas artificiel et ça contribue à la convivialité de la matinale.

Pourriez-vous avoir la longévité d’un Leymergie sur ce type d’exercice ?

C.D : : Déjà, respect et chapeau à William Leymergie. C’est un modèle de constance, de longévité et de passion, car il fait ça depuis 30 ans. Il n’est pas usé. Un autre exemple, Charlie Rose, qui est le présentateur de CBS This Morning aux États-Unis et qui a plus de 70 ans. Il rassure les Américains. Donc tout est possible.

P.L.T.P : Je ne pense plus être présentable au bout de trente ans de matinale (rires). Ça rentre aussi en ligne de compte.

C.D : : La seule limite, c’est notre envie, notre capacité à se renouveler, et la volonté d’Alain Weil (Président de NextradioTV -RMC, BFM Radio, BFM TV, Groupe 01, ndlr).

Ressentez-vous en interne l’influence que peut avoir BFMTV aujourd’hui sur les autres chaînes dans le traitement de l’information ?

P.L.T.P : Oui effectivement, et je pense qu’on a un peu collé la pression aux chaînes historiques. On est extrêmement réactif et on donne l’information en temps réel alors qu’il faut souvent attendre le 20 heures sur les autres chaînes pour avoir l’information. Outre les prises de direct de TF1 et France 2 en frontal avec celles des chaînes d’information en continu lors de grands évènements comme les attentats de Charlie Hebdo, la rythmique de leurs JT est clairement inspirée des chaînes d’info. Il y a quelques années, un journal de 20 heures alternait entre les lancements du présentateur et les sujets. Aujourd’hui, la réalisation, la scénographie et l’habillage des journaux des chaînes historiques ont fortement évolué. On sent bien que les chaînes d’information les ont inspirés.

De nombreux présentateurs ont été débauchés de BFMTV. Avez-vous déjà été approché ?

P.L.T.P : Oui bien sûr, mais on fait comme Hervé Béroud (qui a refusé la direction de l’information de France Télévisions, ndlr) et on a décidé de rester sur BFMTV. Je vous garantis que c’est vrai. On est sollicité et c’est toujours agréable, bien évidemment. On a fait ce choix notamment pour la liberté de ton et cette tranche matinale d’information.

Repartez-vous tous les deux pour une nouvelle saison ?

P.L.T.P : On sera tous les deux à l’antenne le 24 août prochain, le jour de la rentrée officielle. Pour ce qui est des nouveautés, on se les garde, car la concurrence risque de nous lire (rires). Mais promis, il y en aura.