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Eric Paul Marais et Didier Lejeune (scénaristes, saison 3, Les Mystérieuses cités d’or) : « Certains fans de la première heure n’ont pas compris que notre public a aujourd’hui entre 7 et 10 ans » »

Léopold Audebert
Publié le 23/10/2016 à 18:47

Après une saison 1 en Amérique Latine, et une deuxième salve d’épisodes s’achevant en Chine, Esteban, Zia et Tao débarquent au Japon à la recherche d’une troisième Cité d’Or, depuis le jeudi 20 octobre. À l’origine des intrigues bouleversant le quotidien des personnages, Eric Paul Marais (scénariste de la saison 2 et 3) et Didier Lejeune (directeur d’écriture de la saison 2, scénariste de la saison 3). Rencontre avec ceux qui, depuis le début de la deuxième saison du dessin animé, sont aux manettes des péripéties des jeunes héros.

Léopold Audebert : Selon vous, quels sont les atouts majeurs de cette troisième saison des Mystérieuses Cités d’Or ?

Éric Paul Marais : En terme de qualité, je pense que nous avons tous franchi un palier. Cela est aussi lié au fait que nous avons abordé la saison 3 en étant chez nous. Durant la saison 2, nous avions un petit peu l’impression de squatter l’appartement de Jean Chalopin. (rires). Nous ne pouvions donc pas trop bouger les meubles, et devions respecter la peinture des murs. Aujourd’hui, nous nous sentons plus à l’aise, et nous pouvons nous permettre de tenter de nouvelles choses. Selon moi, cette liberté contribue à la qualité de la saison 3. Je pense aussi que nous avons également tiré quelques leçons de la saison 2, qui était difficile parce qu’il fallait faire la liaison avec la salve précédente. Enfin, nous avons sûrement gagné en action, en richesse psychologique, et puis nous voyageons beaucoup, ce qui est aussi une manière de renouer avec la saison 1 qui était très itinérante.

Didier Lejeune : Cette nouvelle saison a effectivement bénéficié d’une plus grande liberté, mais aussi d’une plus large confiance. Il n’y avait, par exemple, qu’un seul scénariste pour la construction de l’arche narrative. Nous souhaiterions le reproduire plus souvent, car, lorsque l’on multiplie les intervenants, on risque d’appliquer des choses trop bancales, dans le compromis, donc finalement trop tièdes.

Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur les intrigues de cette troisième saison des Mystérieuses Cités d’Or ?

Éric Paul Marais : L’écriture de l’arche narrative de la saison 3, dont je me suis occupé, a pris deux mois.

Didier Lejeune : Il est peut-être difficile de s’en rendre compte, mais c’est assez remarquable ! Éric écrit très vite, car vingt-six épisodes de vingt-six minutes représentent l’équivalent de cinq longs-métrages.

Quelles ont été les étapes suivantes dans l’avancement de votre travail ?

Éric Paul Marais : Concrètement, l’arche narrative est égale à vingt-six épisodes reposant chacun sur une page. Après validation de la chaîne, nous pouvons alors débuter le développement des synopsis, constitués chacun de cinq pages. Dans mon cas, le passage d’un pitch en format synopsis me prend une semaine. Par la suite, il faut se lancer dans la rédaction de tous les synopsis, avant qu’ils ne soient distribués aux scénaristes. Dans notre cas, nous n’étions que tous les deux. Nous nous sommes alors partagé le travail. Globalement, il faut dix-huit mois pour écrire l’ensemble d’une saison.

« Cette nouvelle saison a effectivement bénéficié d’une plus grande liberté, mais aussi d’une plus large confiance »

En tant que scénariste, vous occupez une fonction cruciale dans les actions du dessin animé et, in fine, dans le rendu final de la série. Comment avez-vous vécu les différentes critiques émises vis-à-vis de la saison 2, s’inscrivant dans la continuité de la première salve d’épisodes, diffusée en 1982 et 1983 sur Antenne 2 ?

Éric Paul Marais : Par comparaison avec d’autres œuvres, il s’agit d’une suite un peu particulière. Effectivement, elle ne s’adresse pas au même public que dans les années 1980. Certains fans de la première heure ne l’ont pas compris. Cela a été très problématique. Sur les sites de fans, on lit souvent « ce que pourrait être la suite des Cités d’Or ». Toutefois, ces fans, qui ont aujourd’hui quarante ans, écrivent des histoires avec des références très compliquées, que les enfants ne maîtrisent pas. De notre côté, nous sommes appelés par TF1. La chaîne investit six millions d’euros pour nous dire « On vous engage pour faire une série ». Nous avons un cahier des charges : nous le respectons ! Très concrètement, notre public a aujourd’hui entre sept et dix ans. Si on ne s’adresse pas à cette cible, il ne peut pas y avoir de dessin animé. Le temps a changé. Dans les années 1980, tout était extrêmement souple ; on démarrait l’animation. Tout le monde faisait à peu près ce qu’il voulait. Après avoir discuté avec Jean Chalopin, j’ai appris que la fameuse saison 1 comptait initialement vingt-six épisodes. Toutefois, le format international était alors à trente-neuf épisodes. Afin de trouver treize épisodes supplémentaires, ils ont alors brodé, ajouté des choses qui n’était pas prévu au départ.

Didier Lejeune : Le ton de la saison a d’ailleurs basculé à ce moment, et a pris un côté science-fiction. Tout cela dans le but d’avoir plus de « grain à moudre » et de pouvoir tenir plus longtemps. Cette série a un grand mérite, et nous a tous marqué. Mais pour qu’elle puisse continuer d’exister, en tout cas de perdurer d’une autre manière, il fallait s’adapter aux nouvelles demandes de TF1. Nous ne pouvions pas rester sur les rails de la première saison.

Éric Paul Marais : Encore une fois, à l’époque, tout était vraiment du bricolage ! Il n’existait aucune règle. Par exemple, aucun épisode n’avait la même durée. C’est incroyable ! Aujourd’hui, le cadre est vraiment strict et nous ne pouvons pas déborder.

Cette pression de la part des fans de la première saison n’est-elle pas trop difficile à gérer ?

Éric Paul Marais : Au-delà de cela, et de certains fans agressifs, la réelle pression est celle que peut avoir un scénariste qui se trouve au début de la chaîne de production, quand il sait que deux cents personnes attendent son travail afin de poursuivre le développement de la série d’animation. Cette pression nous intéresse plus que les autres ! (rires)

« Je pense que les créations représentent l’avenir et qu’il y va vraiment une chance à saisir ! »

D’un point de vue plus global, quel est votre regard sur la santé du marché du dessin animé en France ?

Éric Paul Marais : Il existe aujourd’hui une certaine forme de standardisation, par exemple au niveau des graphismes en trois dimensions. Tout le monde est d’accord sur ce point, y compris les autorités. Je suis de parti-pris, évidemment, mais je trouve que Blue Spirit et les équipes de Jean-Luc François atteignent un niveau formidable dans la finesse et la diversité des graphismes.

Quel regard portez-vous sur les nombreuses adaptations, de bandes dessinées ou de livre pour enfants, très présentes sur le petit écran ?

Éric Paul Marais : À mon goût, il y a trop d’adaptations. Les chaînes se sont souvent cachées derrière l’idée qu’un produit connu avait plus de chance de marquer les esprits et de fonctionner à l’antenne. Cela ne s’est pas vérifié. Le public se renouvelle tellement souvent que les enfants n’ont pas de références fixes. Il faut trois ans pour faire une série. Durant cette période, un enfant passe de six ans à neuf ans ; pour nous, c’est comme si on passait directement de vingt ans à soixante ans ! C’est énorme ! À titre d’exemple, si, aujourd’hui, il est décidé d’adapter une bande dessinée qui se vend bien, celle-ci sera disponible à l’antenne en 2019. Aura-t-elle toujours la même influence ? Un mouvement sur la nécessaire mise en place de produits originaux commence donc à émerger. Tout est plutôt positif, mais cela fait dix que nous le réclamons…

Didier Lejeune : Il y a effectivement l’unanimité sur ces points. D’ailleurs, je pense que les chaînes et que les autorités commencent vraiment à en prendre conscience, et que les créations vont revenir, plus nombreuses. Quand, à Annecy (particulièrement connu pour l’existence de son Festival international du film d’animation), des petits films et des courts métrages sont présentés, il est vraiment possible de se rendre compte de la diversité des styles d’animation, français et internationaux. Aujourd’hui, cette mixité ne se retrouve pas nécessairement dans les séries de flux…

La France est pourtant réputée pour ses formations d’excellence dans le secteur…

Éric Paul Marais : On connaît bien l’école des Gobelins, à Paris, qui prépare aux métiers de l’animation. Mais il faut également savoir qu’il en existe de nombreuses autres. Le niveau de formation dans ce secteur est exceptionnel et nous avons des talents incroyables chez les dessinateurs, les storyborders, les créateurs de décor, de costume, etc. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si beaucoup de nos connaissances vont travailler chez DreamWorks ou encore Pixar. Mais tous ces talents n’ont pas forcément la possibilité de s’exprimer, en raison des nombreuses adaptations à l’écran. Je pense que les créations représentent l’avenir et qu’il y va vraiment une chance à saisir !