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Les Grandes Gueules, Fatima Aït-Bounoua : « Faire croire sur les réseaux sociaux qu’on a une vie parfaite... c’est trompeur, je trouve ça oppressant »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 21/06/2020 à 18:44

Fatima Aït-Bounoua, chroniqueuse des « Grandes Gueules » depuis 2014, s’est exprimée pour Toutelatele sur son parcours de vie et son aventure dans l’émission à suivre du lundi au vendredi sur RMC Story.

Joshua Daguenet : Sur votre présentation Twitter, il est écrit « J’aime disséquer les êtres humains, mais toujours proprement ». Et pourtant à l’école, vous avez choisi d’enseigner le français...

Fatima Aït-Bounoua : La dissection est un clin d’œil à l’écriture, dont tout à fait en lien avec les mots. C’est saisir avec la justesse possible les profils et les gens. En 2009, j’ai écrit La honte, des nouvelles autour du thème de la honte, où j’expliquais comment des formules apparemment anodines pouvaient poignarder.

Votre proposition pour « La France d’après » est de limiter les classes à vingt élèves. Comment motivez-vous cette mesure ?

J’aimerais qu’on limite les fermetures de classes, car plusieurs sont annoncées dès qu’on dépasse les vingt-quatre élèves. À la campagne, on ferme les classes, mais on devrait les garder pour l’après Covid-19. On devrait encourager les classes de village. Ma proposition a été motivée par plusieurs points : les enfants ne sont pas un cerveau posé sur une table. Il ne suffit pas de les gaver de savoir. Ils ont besoin d’une attention particulière. Une époque où on nous dit qu’il faut personnaliser le savoir, où on nous parle de classe inclusive, le seul moyen est de bénéficier de classes avec moins d’enfants. Certains surdoués finissent par être en échec scolaire, ils décrochent, car on a été dans l’incapacité de voir qu’ils étaient en avance. Je parlais aussi des enfants moyens. Dans une classe de trente-quatre élèves, on va s’occuper de ceux qui ont des difficultés, et ceux qui vont assez bien sont oubliés, car ils suivent les règles. Eux aussi sont dignes d’un regard.

Craignez-vous que cette génération d’élèves et d’étudiants soit durement et longuement pénalisée par la fermeture prolongée des écoles ?

Il n’y a pas de génération homogène. Il y a des cas très variés selon des situations. Tout va dépendre de la suite décidée pour pallier le manque. Rien n’est perdu.

« Les élèves qui vont bien sont aussi dignes d’un regard »

Écrivaine, actrice, professeur de lettres et peut-être prochainement psychothérapeute...

J’ai effectivement repris mes études. On a pris l’habitude des gens qui s’autoproclament un titre après une formation de deux semaines. Je ne voulais surtout pas faire ça et avoir une légitimité. J’ai repris un double cursus : je suis en Masters 2 de psychanalyse, et dans le même temps, je suis des cours privés à l’école EPHEP. Pour ce qui est d’être actrice, je n’ai fait que de la figuration. On peut avoir l’impression d’un parcours décousu, mais le lien de tout cela est l’amour des mots. La « psycho » aide les autres à trouver leurs mots.

Avec la crise majeure qui s’est abattue dans le monde, la psychothérapie est-elle un métier d’avenir sur le court terme ?

Oui et sur le long terme également. La santé mentale va être au cœur de nos préoccupations dans les années à venir. Même chez les très jeunes. Le suicide est l’une des premières causes de mortalité chez les jeunes. Il est temps de s’y intéresser

Vous allez boucler une sixième saison au sein des Grandes Gueules tout en prévenant que vous ne comptiez pas vous éterniser dans l’émission. Serez-vous présente à la rentrée prochaine ?

(Rires). Je ne sais pas. Je me suis toujours pensée comme une grande gueule de l’ombre, mais qui est éclairée à un moment donné. Dans cette émission, j’aime quand ça tourne. J’aime les castings et les nouvelles têtes. Je n’arrive cependant pas à imaginer l’émission sans certains tauliers. Comme disait un proverbe repris par mon père, « Les indispensables, il y en a plein les cimetières ».

« La parole des femmes se libère, mais ça ne suffit pas »

Vous refusez d’exposer vos enfants sur les réseaux sociaux. Ont-ils, selon vous, excessivement envahi notre quotidien ?

Des personnes rencontrées sur les réseaux sociaux - comme MySpace - sont devenues mes amis. Aussi, des gens font l’émission avec nous sur Twitter. Certains témoignent et m’écrivent après. Il y a donc des aspects très positifs. En revanche, sans juger ceux qui le font, je refuse de dévoiler l’intimité. Si on expose ses enfants, on peut venir chercher encore plus. Je trouve cela oppressant. Je n’aime pas la mise en scène de soi. C’est trompeur. Faire croire qu’on est tout le temps heureux, qu’on a une vie parfaite... Mais je trouve que c’est en train de changer. Il y a un retour vers l’authenticité.

Dans une récente interview, vous avez référencé le Mythe de Philomène pour souligner votre engagement auprès des femmes victimes de violences. Philomène s’est fait trancher la langue pour ne pas dénoncer son viol. Selon vous, encore aujourd’hui, il y a-t-il trop de crimes passés sous silence ?

Au sujet des agressions, c’est en train de changer. La parole se libère, mais ça ne suffit pas. Maintenant, il va falloir se pencher sur la question suivante : à qui adresse-t-on la parole ? Le fait d’exposer sur les réseaux sociaux est une première étape, mais il ne faut pas en rester là. C’est une question judiciaire, ce n’est pas là que ça se règle. J’ai imagé mon propos par le Mythe de Philomène à cause de ce qu’il représente : la sublimation, la résilience et l’art. C’est à travers une souffrance que notre souffrance peut être la racine de notre art.