Toutelatele

Philippe Besson (Homos, la haine) : « Je suis frappé par l’énorme liberté laissée par France Télévisions »

Tony Cotte
Publié le 09/12/2014 à 16:03 Mis à jour le 17/12/2014 à 15:05

Pour sa première expérience en tant que documentariste, l’auteur prolifique et ancien animateur de l’émission « Paris Dernière » (Paris Première) a proposé un large panorama de l’homophobie en France. « Homo, la haine », diffusé ce mardi 9 décembre en seconde partie de soirée sur France 2, est ainsi une commande du service public pour souligner les dommages collatéraux des mouvements comme celui de La Manif pour tous. « Ils ne se contentent pas de dire des choses horribles, ils produisent de la violence, des blessures. C’est ça qu’on voulait montrer », explique Philippe Besson à Toutelatele. Rencontre

Tony Cotte : Pouvez-vous revenir sur la genèse de Homos, la haine ?

Philippe Besson : Je suis venu sur ce projet à la fois par conviction profonde et par une conjonction de hasards heureux. Le service public a voulu faire ce film après avoir été frappé, comme tout le monde, par la violence, au moins en paroles, du mouvement « La manif pour tous ». La chaîne a alors confié ce projet à Morgane Production que je connais très bien puisqu’ils produisaient Ça balance à Paris auquel je participais en tant que critique littéraire. J’écris des livres et des scénarios, mais je n’avais jamais fait de documentaire de ma vie. J’ai donc souhaité collaborer avec un professionnel et nous nous sommes ainsi retrouvés en duo avec Éric Guéret.

Les témoignages de ce documentaire sont à haute teneur lacrymale…

C’est d’autant plus bouleversant qu’ils sont donnés sans colère. Tous ont vécu des expériences assez fortes, mais ils ne sont pas dans un désir de revanche. Ils ont une espèce de dignité qui fait la puissance de leur témoignage. La vraie difficulté a été de les trouver. On voulait vraiment qu’ils s’expriment à visage découvert et sans la participation de psychologue, avocat ou sociologue. Je voulais que ce soit fondamentalement sur les visages et les voix des victimes.

Avez-vous dû renoncer à des cas qui ne souhaitaient pas se montrer ?

Pour des raisons qui tenaient à sa famille, une personne à Lille avait souhaité témoigner en étant cachée. On a longuement hésité, mais quand on déforme une voix, les spectateurs perdent l’attention. Alors, nous sommes allés jusqu’au bout de notre démarche éditoriale et cette personne n’a pas été retenue.

« Il faut saluer l’engagement citoyen du service public »

Une telle exposition peut aussi être néfaste à certains témoins. Comment peut-on s’assurer qu’ils assumeront ce passage à l’antenne ?

Nous avons été là pour les mettre en garde et répété à chacun que le film allait être diffusé à une heure de grande écoute sur une chaîne nationale. Il leur a été rappelé l’audience de la case, à savoir entre 500 000 et un million de téléspectateurs, ce qui est énorme. Ils ont conscience qu’on ne peut pas assumer à leur place. Ils avaient tous la possibilité de faire marche arrière après l’enregistrement et aucun d’entre eux n’a hésité. Ils avaient un message militant, mais à la fois intime à faire passer. On voit bien qu’ils s’adressent à leurs proches et qu’ils ont juste envie qu’on les écoute.

Dans son témoignage, Jean-Pierre dit ouvertement avoir souffert d’homophobie sur son lieu de travail, le Crédit Agricole. Citer une marque qui est un annonceur n’est-il pas un risque pour France 2 ?

Il était indispensable de le faire ; cette décision a été la première en France à aller jusqu’à la Cour de cassation. Avant le Crédit Agricole, aucune entreprise française n’avait été condamnée pour une discrimination à raison de l’orientation sexuelle. Je suis frappé par l’énorme liberté laissée par France Télévisions. Nous n’avons eu aucune contrainte et on a monté le film qu’on voulait montrer ; il sera diffusé tel quel. Il faut saluer l’engagement citoyen du service public et le courage de prendre une responsabilité qui peut lui être préjudiciable.


Dans une ancienne chronique pour le magazine L’Express, vous aviez raconté l’un de vos voyages aux États-Unis au cours duquel vous avez dû affronter la violence d’un groupe républicain. Peut-on faire un parallèle avec « La Manif pour tous » en France ?

Je connais moins la situation américaine, même si j’y vis trois ou quatre mois par an. Les États-Unis ont une législation plus dure sur la question des discriminations à l’égard des minorités. Mais il y a une diversité géographique terrifiante et assez simple entre les états républicains et démocrates. C’est un pays de contraste. Si vous m’aviez demandé il y a quatre ans si la France était homophobe, ma réponse aurait été négative. J’estimais qu’elle avait fait beaucoup de progrès, entre la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, l’instauration du PACS en 1998 et la diminution des actes homophobes. Des animateurs avaient fait leur coming-out et la fiction montrait de plus en plus de personnages homosexuels. Mais avec le débat autour du mariage pour tous, on s’est rendu compte que l’homophobie était simplement sous un couvercle que l’on venait de soulever. L’attitude d’un pays vis-à-vis de ses minorités est souvent un signe de son dynamisme démocratique et de sa modernité humaniste. Je ne saurais dire s’il est plus simple d’être homosexuel aux États-Unis ou en France.

Que pensez-vous des groupuscules qui parviennent à capter l’attention des médias, comme Sens commun ?

C’est un groupuscule auquel a cédé le nouveau président de l’UMP. C’est regrettable et ça démontre la fourberie du personnage. Sens commun c’est juste un ramassis d’abrutis, il faut les considérer ainsi. On a droit de respecter la liberté d’opinion, mais on a également le droit de dire qu’un con est un con. Il n’y a pas d’innocuité dans leur démarche, à l’instar de « La Manif pour tous ». Je ne regarde pas ces gens comme des innocents qui veulent défendre la famille, mais comme ceux qui infligent des blessures à d’autres.

« Avec le débat autour du mariage pour tous, on s’est rendu compte que l’homophobie était simplement sous un couvercle que l’on venait de soulever »

Dans le film, on peut voir Laurent Kérusoré, interprète de Thomas dans la série Plus belle la vie, témoigner. Il parle notamment d’une régression après une certaine avancée…

Via son personnage, il a démontré que les Français avaient un regard plutôt bienveillant par rapport aux homosexuels. Tant que Thomas était le gentil serveur gay, copain de tout le monde, ça allait. Mais dès qu’il s’est marié dans la série, il a commencé à recevoir des mails, des lettres et des témoignages homophobes. Comme si tout d’un coup ça avait déclenché quelque chose : on aime les homos quand ils sont dans le décor, mais ils ne peuvent pas réclamer des droits et encore moins les obtenir. La visibilité ne doit pas être trop importante. Ça correspond assez bien au message du film. Mais au fond je pense que seule une minorité est choquée, le problème étant que la grande majorité est silencieuse.

En tant que personnalité politique ouvertement de gauche, que pensez-vous du retournement de Manuel Valls autour de la GPA ?

On peut avoir la conviction profonde d’être contre cette pratique, même si ce n’est pas mon point de vue. J’ai mis du temps à me faire une opinion dessus et je reconnais que c’est un sujet complexe et délicat. Mais ce qui me gêne, c’est de dire le contraire exact de ce qu’on a pu dire deux ans plus tôt. Manuel Valls a, qui plus est, fait sa déclaration deux jours avant un défilé de « La Manif pour tous ». C’est comme si on voulait donner des gages aux réacs. C’est une posture politicienne à très court terme. Je ne trouve pas qu’il se soit grandi en faisant cela. La grandeur d’un homme politique c’est de tenir des convictions profondes même quand elles sont minoritaires, c’est affirmer à Alain Duhamel en toute fin d’émission de Cartes sur table de vouloir abolir la peine de mort alors que 70% des Français y sont hostiles.