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Philippe Bony (Astérix, le Domaine des Dieux) : « Chez M6, l’objectif principal est de produire des films familiaux, dans l’animation et dans la comédie »

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Publié le 30/10/2017 à 18:37 Mis à jour le 30/10/2017 à 22:50

Ce lundi 30 octobre, M6 diffuse pour la première fois en clair le film d’animation « Astérix : le domaine des Dieux ». Initié il y a plus de dix ans, ce long-métrage est la première production en 3D créée par M6 via Studios M6. Rencontre avec Philippe Bony, directeur général adjoint des programmes chargé du cinéma pour en savoir plus sur la genèse.

Toutelatele : Astérix : le domaine des Dieux est le premier film de la franchise en 3D. Quelle est la genèse de cette adaptation ?

Philippe Bony : Nous avions déjà produit un dessin animé en 2D, Astérix et les Vikings. Nous avons voulu aller plus loin. Pendant très longtemps, Albert Uderzo ne souhaitait pas passer ses personnages en 3D. Il trouvait que les images de synthèse ne montraient pas suffisamment la dynamique de son trait et l’expression de ses personnages. On a réalisé alors un certain nombre de tests que nous sommes venus lui présenter il y a dix ans. Il a été convaincu et séduit de l’évolution de la technologie et de ce qu’on était capable de faire aujourd’hui. Et il nous a ainsi donné son accord pour faire, pour la toute première fois, une adaptation d’Astérix et Obélix en images de synthèse.

Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser à l’album Astérix : le domaine des Dieux ?

On a d’abord proposé à Albert Uderzo de travailler avec Alexandre Astier, avec qui nous venions de faire la saga Kaamelott. On considérait qu’Alexandre avait une plume et un style de dialogue et d’écriture qui semblait correspondre à l’univers décrit par Uderzo et Goscinny autour d’Astérix. Il se trouve qu’Alexandre est un grand fan d’Astérix et il a proposé d’emblée le « Domaine des Dieux », car il y a cette double lecture entre la société contemporaine et les personnages des Gaulois, avec quelque chose de très fort de César qui dit au début : « Puisque je n’arrive pas à les battre par la force, je vais essayer de les corrompre par les fastes de la société romaine ». Ensuite, nous sommes allés chercher un réalisateur pour travailler sur la partie animation, Louis Clichy, qui a fait les Gobelins, et a travaillé cinq ans chez Pixar en étant animateur sur des films comme Là-haut, Ratatouille... Il venait juste de revenir en France. On lui a alors proposé de réaliser son premier film en co-réalisation avec Alexandre Astier.

Avez-vous été confronté à certaines difficultés majeures ?

Non, mais le processus est long. L’aventure artistique a été importante, car, avec Astérix, on passait pour la première fois en 3D une œuvre importante pour le public français. Il y a donc une pression artistique très forte. Et puis c’est un enjeu industriel puisqu’il a fallu que l’on crée de toutes pièces un studio d’animation à Paris. Pour cela, on s’est associé avec la société Mikros image qui n’avait jamais fait de films d’animation à l’époque. On a mis à quatre ans à le produire avec un joli succès à la clé puisqu’on a vendu le film dans une trentaine de pays dans le monde. On a fait 3 millions d’entrées en salles en France, soit le plus gros succès de tous les Astérix, et 6 millions dans le monde entier.

« On considérait qu’Alexandre Astier avait une plume et un style de dialogue et d’écriture qui semblait correspondre à l’univers décrit par Uderzo et Goscinny autour d’Astérix »

Le succès international de la marque peut-il aider dans le développement où l’on est certain de s’assurer des revenus additionnels ?

Oui, c’est très important, surtout dans le cinéma d’animation, que l’on soutient beaucoup au sein du groupe M6 et dont on a relancé la filière, avec les coproductions du Petit Prince, Sahara, ou en ce moment Playmobil. Astérix : le domaine des Dieux est doté d’un budget de 30 millions d’euros. Il faut donc avoir un potentiel international important, et c’est vrai qu’avec une marque comme Astérix c’est possible, même si elle a des avantages et des inconvénients. C’est une œuvre extraordinaire en Europe, en revanche sur un territoire comme les États-Unis, nos Gaulois, avec leur caractère un peu étrange, ont du mal à séduire. Le marché américain est donc fermé. Mais d’une manière générale, ils n’aiment pas beaucoup les dessins animés français. En Europe, il y a une vraie identité et une vraie puissance de l’œuvre, notamment en Allemagne.

Le film évolue dans un premier temps au cinéma avant de faire sa vie à la télévision. Comment se déroule ce type de négociations ?

On détermine ces diffusions très en amont. On demande à chacun des partenaires des pré-acheter le film pour assurer son financement. Cela nous permet d’avoir ce que l’on appelle la chronologie des médias pour savoir où le film va passer. En fait, dès le montage du film, on a une vision assez précise de où et quand il va être exploité au cours des cinq premières années après la sortie en salles. Ce délai passé, c’est plus ouvert, car on n’est plus dans le cadre du co-financement.

Toute la partie merchandising est également étudiée en amont…

Oui, on la travaille avec les éditions Albert Réné qui sont propriétaires de l’œuvre Astérix. Ils gèrent tous les droits du merchandising. En revanche, M6 est associée puisque l’on produit le film et donc tous les éléments qui vont permettre d’accompagner son exploitation.

Devant le succès remporté par cet opus d’Astérix, un autre film d’animation est-il prévu ?

Le nouvel Astérix est actuellement en cours de production avec la même équipe. Louis et Alexandre ont encore eu envie de travailler ensemble, ce qui est une chance. La particularité de ce nouveau film, qui a pour titre « Astérix et le secret de la potion magique », est qu’il n’est pas une adaptation d’un album, mais une histoire originale co-écrite par Alexandre Astier et Louis Clichy. Dans cette aventure, Panoramix considère qu’il est temps pour lui de trouver son successeur. Il va partir avec Astérix et Obélix pour chercher un jeune druide suffisamment méritant pour lui confier le secret de la potion. La sortie est prévue à la fin de l’année 2018.

« On accompagne les talents sur la durée tout en essayant de maintenir et d’identifier une famille M6 »

Il y a donc une démarche inverse avec une sortie de la bande dessinée conjointe avec celle du film ?

Les éditions Albert René vont décider de cela. Précédemment, il y a eu un seul cas, « Les 12 travaux d’Asterix », qui ont été écrits spécialement pour le film. Cependant, c’est la première fois qu’on a la possibilité de créer une histoire d’Astérix sans Goscinny et Uderzo. On est très fier de cette confiance accordée.

En tant que directeur adjoint des programmes chargé du cinéma, comment décidez-vous du choix des films à co-produire ou à produire ?

Les équipes reçoivent des scénarios. Elles sont en charge de les lire et de faire une première sélection. Puis un comité de direction va valider les choix. Dans ces choix, l’axe principal de M6 reste la comédie, même si on ne se laisse pas enfermer dans des règles. On a ainsi co-produit la franchise Taken par exemple. L’objectif principal est de produire des films familiaux, car c’est important que le cinéma français soit présent dans l’animation, ou dans la comédie comme Baby Sitting, Les nouvelles aventures d’Aladin et Épouse-moi mon pote actuellement au cinéma. Cela nous semble important, car on a un cinéma français très fort sur le public plus âgé, mais malheureusement sur les films enfants / ados, il y a une pression très forte des productions américaines à travers, entre autres, les super héros, ou les films Pixar. Le cinéma français doit être très présent et être puissant sur ces cibles jeunes. Donc nos investissements, qui correspondent à l’ADN de M6, sont un soutien aux initiatives autour de ces cibles. Dans les prochains mois, vous verrez ainsi la suite de la saga Belle et Sébastien avec le troisième opus, le prochain Aladin avec Kev Adams et Jamel Debbouze…

Au final, vous capitalisez fortement sur les marques…

Effectivement autour d’Astérix, du Petit Nicolas, et d’autres... ce sont des liens et des relations de confiance tissés. Et puis, on essaye de faire émerger les nouveaux talents comme Tarek Boudali qui a réalisé Épouse moi ton pote. On le suit depuis longtemps, avec la shortcom En famille. On encore Philippe Lacheau qui a commencé à M6 chez Fun TV, Kev Adams, jeune talent que l’on a découvert à 16 ans... On accompagne les talents sur la durée tout en essayant de maintenir et d’identifier une famille M6.

Considérez-vous Netflix ou Amazon, qui financent des films et des séries, comme de véritables concurrents ?

En dehors de la délinéarisation, ces sociétés ont des stratégies différentes l’une de l’autre. Netflix ne souhaite pas vraiment financer des films de cinéma, car il ne veut pas qu’ils sortent en salles. Sa stratégie est donc d’investir dans des contenus exclusifs à sa plateforme et à un public précis. Historiquement quand un film ne sort pas au cinéma, on appelait ça un téléfilm. Amazon est encore balbutiant en France, on ne l’a donc pas pris en compte dans notre stratégie pour l’heure. Chez M6, notre objectif est de créer et d’acquérir des programmes très diversifiés qui correspondent à une image M6, que le public arrive à reconnaitre. On essaye d’être le plus convaincant possible pour que les téléspectateurs passent du temps chez nous soit sur la diffusion linéaire ou délinéarisée.