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La grande bataille des reality show : comment TF1 a tué La nuit des héros... et évincé Jacques Pradel et Jean-Marc Morandini pour sa « quête de sens »

Joseph Agostini
Publié le 31/07/2022 à 20:45 Mis à jour le 31/07/2022 à 21:38

Le psychanalyste Joseph Agostini, auteur de « Je dépense comme je suis » (Editions Leduc), revient sur la télévision des années 80 à 2000. Pour Toutelatele, il revisite les grands moments en s’attardant sur les émissions et les stars de cette époque. De La roue de la fortune à N’oubliez pas votre brosse à dents en passant par La nuit des héros ou encore Loft Story, revivez les programmes précurseurs de la télévision d’aujourd’hui. Parce que le succès des émissions est avant tout une histoire de psychologie collective. Dans cet épisode, place aux grandes batailles des reality show avec Perdu de vue, Mystères, Témoin n°1 où Jacques Pradel règne en maitre. Cette période verra une guerre inouïe entre TF1 et France 2 autour du format américain Rescue 911 avec, au milieu de la tourmente, Laurent Cabrol...

L’adaptation de Rescue 911 en France, a surpris les directeurs de chaîne par son succès flamboyant, le samedi en première partie de soirée sur Antenne 2. En effet, en 1991, aucun programme appartenant au genre « reality show » n’était encore programmé en France en prime time. Perdu de vue , adaptation du format italien Chi l’a visto ?, existait certes déjà sur TF1, mais après 22h30, tout comme L’amour en danger , séances de psychothérapie de couple filmées.

La (re)naissance de Laurent Cabrol

La nuit des héros, présenté par Laurent Cabrol, produit par Philip Plaisance et Philippe Thuillier, a donc ouvert le bal sur le service public à 20h45, en plein cœur du deuxième septennat de François Mitterrand, et à l’orée de la signature du Traité de Maastricht. Si les paires de baskets Air Jordan et les Game Boys sont les nouvelles stars des cours de récréation, le magazine d’Antenne 2 défraye tout autant la chronique. Aucune émission diffusée sur une chaîne d’Etat ne parvient à cette époque, à toucher un si large public.

«  Ce sont des gens comme vous et nous, mais en un instant pour eux, tout a basculé et ils ont vécu l’aventure de leur vie. Ce soir, ils entrent dans La nuit des héros  », dit la voix off précédent le générique. Les reconstitutions de l’émission mettent à l’honneur des anonymes, dont cette femme qui a eu la présence d’esprit d’introduire une paille dans la bouche de son hamster pour le ranimer, cet homme qui a survécu, on ne sait pas comment, à une chute spectaculaire de plusieurs centaines de mètres…

L’audience de La 2 est au beau fixe. Plus les samedis passent, plus elle grimpe en flèche. L’émission devient le nouveau rendez-vous familial du week-end. Pourtant, à l’exception de Dimanche Martin et de Maguy, les grilles des samedis et dimanches d’Antenne 2 conservent alors une audience plutôt faible… Laurent Cabrol, autrefois cantonné au rôle de présentateur météo ou du jeu Des chiffres et des lettres, connaît alors sa plus grande popularité.

TF1 va faire la peau à La nuit des héros

En face, TF1 meurt de jalousie. Comment la grande papesse des magazines, Pascale Breugnot, n’a-t-elle pas flairé le carton de La nuit des héros ? Comment a-t-elle pu laisser le service public obtenir les droits d’adaptation d’un tel concept ? Chez Bouygues, le ton n’est pas à la franche rigolade. Il faut trouver une parade. Et le plus vite possible.

L’année suivante, remontée comme un coucou, TF1 compte bien réparer la bévue. Pour son vendredi soir, elle propose simplement à Laurent Cabrol… de changer de chaîne ! Certes, parce qu’il ne faut pas non plus pousser Mémé, l’émission n’a plus le même titre, mais la formule est la même, avec encore plus de moyens déployés pour appâter le public. Reconstitutions sanguinolentes, intrigues ahurissantes… La nuit des héros devient ainsi Les marches de la gloire, le 19 septembre 1992. TF1 annonce l’arrivée de ce nouveau reality show l’air de rien, en pensant que la pilule passera sans faire de vague.

Seulement voilà : l’original de La nuit des héros est encore bel et bien à l’antenne, sur Antenne 2, devenue France 2, toujours le samedi soir, avec le comédien Michel Creton, en lieu et place de Laurent Cabrol. Valérie Maurice a en charge les épreuves sportives, fil rouge de l’émission. Dans les bureaux de la chaîne publique, on veut croire que celle-ci conservera son aura malgré la nouvelle concurrence.

Pourtant, quelques semaines après la rentrée, les résultats tombent comme un couperet : le produit est mort. Michel Creton n’y peut pas grand-chose. Valérie Maurice encore moins. Le public préfère désormais Les marches de la gloire, c’est-à-dire la copie conforme, au concept initial…

TF1 réussit son coup

La nuit des héros s’arrête, trois mois après le début de sa version new-look, dans l’indifférence générale. Paradoxe ! Cette émission avait suscité tant d’intérêt moins d’un an auparavant ! Mais ainsi fonctionne la télévision. Et tout se termine au tribunal : La 2 attaque immédiatement TF1 pour plagiat. Philip Plaisance se défend en rappelant qu’Hervé Bourges avait honte de son reality show, qu’il taxait lui-même de « télé-poubelle ». Mais l’évidence le rattrape : France 2 gagne son procès et TF1 doit verser 55 millions de francs à son adversaire. Beaucoup de bruit pour rien…

Les marches de la gloire n’est pas le programme du genre le plus regardé, c’est même un euphémisme. Après avoir été rebaptisé Extraordinaire, il disparaît l’année suivante. Laurent Cabrol quitte définitivement le prime time, passe par la case jeu en reprenant le flambeau d’Une famille en or, puis rejoint le bon vieux Téléshopping… Mais la déferlante du reality show ne fait, elle, que commencer.

Perdu de vue, Témoin n°1, Mystères...

Tandis que Perdu de vue réalise désormais des prouesses d’audience le lundi en première partie de soirée, Pascale Breugnot lance Témoin numéro un, avec le même Jacques Pradel. Il ne s’agit cette fois pas de retrouver des personnes vivantes… mais d’aider la police à élucider des cold cases !

La même année, TF1 donne également sa chance à Mystères, « le magazine du paranormal », où Alexandre Baloud propose des reportages effrayants, avec pommes qui gravitent dans les airs et individus qui se consument en quelques secondes pour des raisons demeurées inexpliquées par la science. L’audience voltige. Si l’expression « télé poubelle » a fait reculer Hervé Bourges, elle n’affole pas le moins du monde la team TF1 en 1993. Ce que public veut, Bouygues le crée, même si cela ressemble parfois à une véritable cour des miracles.

Le 17 septembre de cette même année, Pascale Breugnot se creuse la tête pour imaginer le magazine le plus graveleux possible. D’ailleurs, son titre l’annoncera même de façon subliminale. Le téléspectateur devra s’attendre à tout, à absolument tout. Jean-Marc Morandini, ancien journaliste de La 5, un temps aperçu dans Télématin, accepte de présenter cette pépite du genre, baptisé Tout est possible.

Le magazine de deuxième partie de soirée a cette redoutable qualité de flirter à la fois avec le sordide et le burlesque. Les interviews de Lolo Ferrari, de Linda de Suza ou d’Isabelle Duhamel, artistes en détresse ou sur la paille, ridiculisent Morandini aux yeux de Télérama, de Libération, des Guignols de l’info de Canal+, qui ne ratent pas une occasion de le démolir.

Tout est possible... autodestruction programmée

Mais l’animateur tête de turc n’est finalement qu’un maillon. Et bien aveugle celui qui y voit le responsable de toutes ces infamies ! Tant que l’audience sera au beau fixe, TF1 n’aura que faire des remontrances guindées de ce qu’elle qualifiera en interne de « médias de gauche ». Mais quelque temps plus tard, les scores s’effriteront et la direction verra d’un tout autre œil les critiques lapidaires à son encontre.

En 1996, soit neuf ans après sa privatisation, la chaîne se vouera pourtant à un étonnant examen de conscience. Patrick Le Lay n’hésitera pas à parler de « quête de sens » pour justifier l’éviction des « reality shows ». Pascale Breugnot se tournera alors vers la fiction en créant sa propre marque, Ego Productions. Tous les visages qui popularisèrent le genre se volatiliseront, Morandini en première ligne, comme s’ils avaient porté le poids d’une faute originelle…

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