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Anne Nivat (Dans quelle France on vit) : « Les adultes ne sont pas prêts à affronter la dure réalité des violences familiales »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 17/06/2020 à 17:39 Mis à jour le 27/05/2022 à 00:28

Pour le septième numéro du magazine Dans Quelle France on vit, Anne Nivat s’est attaquée au fléau des violences familiales à la rencontre de nombreuses victimes. Un sujet à suivre à 21h05 ce mercredi 17 juin sur RMC Story.

Joshua Daguenet : Malgré toutes les horreurs que l’on peut déjà entendre sur ces violences, avez-vous été surprise par certains faits ou détails que vous ont rapportés les victimes ?

Anne Nivat : Je pense surtout au témoignage d’un auteur de violences, un homme qui a perpétré envers ses parents. Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai été étonnée de sa part, car j’ai conscience à quel point il est difficile de s’exprimer tant les thèmes sont intimes. Cela a peut-être été le sujet plus difficile de toute ma vie, car les gens sont sous une double injonction. Pour les auteurs, ils s’en veulent de ce qu’ils ont fait, mais ils l’ont fait donc ils ne veulent pas en parler, mais ils pressentent qu’en parlant, ils iront mieux. Quant aux victimes, elles veulent témoigner, car elles réalisent que ce n’est pas normal et elles n’ont pas envie que leur malheur se répande sur d’autres. Elles ont peur, car l’emprise qu’elles subissent existe encore. La peur se poursuit et elle se prolonge.

Le combat contre les violences familiales doit-il démarrer dès l’école et dans l’éducation des parents ?

Bien sûr. Comme dans tous les sujets de société, plus on en parlera tôt, plus nos enfants auront la bonne attitude. Ce n’est pas gagné, car les adultes ne sont pas prêts à affronter cette dure réalité sur les violences familiales. J’ai rencontré quelques exceptions à l’instar des professionnels et des associations qui m’ont accueillie.

« C’est la parole des acteurs qui compte »

Le confinement a entraîné en France et partout ailleurs des hausses sensibles du nombre de cas recensés. Ce risque a-t-il été pris en compte, anticipé par les différents gouvernements ?

Il est évident que personne n’avait envisagé, parmi les nombreuses conséquences du confinement, celle-ci. On ne se rend compte de l’impact et de l’implication a posteriori. Je travaille ce sujet depuis un an et il était le prochain sur la liste du magazine. On peut dire que j’ai eu du nez, vu l’actualité, mais c’est un coup de chance.

On vous voit suivre une allocution du Président Macron sur les violences conjugales dans un court extrait que vous ne commentez pas. Quel bilan tirez-vous des trois premières années du quinquennat et de l’action de Marlène Schiappa, chargée de l’Egalité hommes-femmes, sur ce fléau ?

Je n’en tire aucune et c’est le but de mon émission. Si j’avais voulu faire un magazine pour faire une analyse de l’action de Marlène Schiappa ou Monsieur Macron, je m’y serais prise autrement. C’est la parole des acteurs qui compte. À travers le Président, j’ai voulu montrer aux téléspectateurs que les personnalités de l’État se mêlent. Je les laisse libres de penser ce qu’ils veulent sur la façon dont est traité ce fléau. Il m’importe de savoir si les gens ont bien suivi. S’ils s’en vont en cours d’émission, c’est qu’ils n’ont pas réussi à bien écouter.

Vous posez la question suivante à un gendarme : « Doit-on être convaincu par une personne peu convaincante ? » à propos d’une présumée victime. Alors qu’on vous répond par l’affirmative, comment, déceler en conséquence les faux-témoignages et éviter les erreurs judiciaires qui sont aussi présentes ?

J’ai posé la question, car la parole peut être embrouillée. Il faut avoir en tête que la personne est dans le cycle de la violence. Lorsqu’une gendarme raconte qu’une victime parle de la toile d’araignée au lieu du traumatisme, il ne faut pas la prendre à la légère, car elle peut être dans l’incapacité de se livrer. Il y a aussi de nombreux cas où il a été prouvé que la personne avait fait un faux témoignage. L’enquête policière ne consiste pas seulement à donner la parole de la potentielle victime.

« Il ne faut ni juger, ni gâcher, ni artificiellement monter quoi que ce soit en sauce »

Les mouvements féministes tels #MeToo sont accusés d’occidentaliser les débats et de taire la condition des femmes au Moyen-Orient. Partagez-vous ces reproches ?

Je ne savais pas que l’on reprochait cela à #MeToo. Il ne faut pas comparer les relations hommes / femmes en France avec celles en Afghanistan et en Irak. Pour moi, il n’est pas non plus possible de faire le parallèle entre l’assassinat pendant une minute et quarante-six secondes d’un homme noir aux USA et dire qu’en France, toutes les violences sont policières. Pour dénoncer ce qui se passe dans les pays en Orient, il faut y vivre, sinon les commentaires sont irrecevables.

Après sept numéros de l’émission, comment répondriez-vous en quelques lignes à la question qui porte son nom ?

Je pense d’abord que ce numéro-là est le plus abouti. Je n’aurais pas dit cela d’un précédent. Il est le plus abouti par le travail d’équipe. Chacun a donné le meilleur. On voit mon rôle, mais il y a aussi ceux qui sont à la caméra, le son qui a composé la musique, le montage, l’étalonnage. Tout a été à son meilleur. Enfin, je me dis que la télévision faite comme ça est une pure merveille. Nous avons un produit fini et on ne peut pas le lâcher une seule seconde. Sur le fond, on vit dans le pays qu’on ose regarder en face. Les téléspectateurs qui regardent sont des gens qui n’ont pas envie de fermer les yeux. Ce n’est pas tout le monde et je le conçois parfaitement. Depuis un certain temps, je suis une journaliste de réalité. Cette réalité, il faut aller la chercher sur le terrain. Il n’y a pas de mise en scène, il y a de l’émotion, mais ce n’est pas du pathos. Nous sommes au plus près des paradoxes. Ni tout va très bien, ni tout va tout mal. Il ne faut ni juger, ni gâcher, ni artificiellement monter quoi que ce soit en sauce.

Votre mari Jean-Jacques Bourdin quitte la matinale de RMC à la fin de la saison. Allez-vous prendre, vous aussi, du recul sur vos activités journalistiques ?

Jean-Jacques et moi ne sommes pas fusionnels au point de ne former qu’une personne. Son départ n’est pas officiel et je ne ferai pas davantage de commentaires à ce sujet.