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Anne Nivat (Dans quelle France on vit, RMC Story) : « En France, quand on ne travaille plus, on n’existe plus »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 11/12/2018 à 18:20

Ce mardi 11 décembre, Anne Nivat est de retour sur RMC Story pour le deuxième numéro de son magazine Dans quelle France on vit, à 21 heures. Celui-ci sera consacré à la vieillesse : « vivre vieux, vivre heureux ? ». La reporter a développé le déroulé de ce rendez-vous pour Toutelatele tout en appelant au devoir de mémoire de par sa grande expérience du terrain pour couvrir les grands conflits modernes.

Joshua Daguenet : Depuis le Grand Journal, vous êtes rarement présente à la télévision. Quelles sont les motivations de ce retour sur le petit écran ?

Anne Nivat : je pense au contraire que l’on me voit très souvent mais de manière irrégulière et c’est ce que je souhaite. Je ne veux pas être employée de la télévision mais y aller pour donner mon avis sur des sujets que je connais. La raison de cette émission est l’opportunité de mettre des coups de projecteur sur des sujets qui m’intéressent en France. La genèse de cette émission est de provoquer du débat.

Votre mari Jean-Jacques Bourdin, présent sur RMC, a-t-il participé à vous convaincre de rejoindre la chaîne ?

Mon mari ne décide pas de ce que je fais, ni sur quelle chaîne je vais. Le groupe Next Radio TV a choisi que cela se ferait sur RMC Story, de la même façon qu’il a décidé que la nouvelle émission de mon mari, Rien n’est impossible, diffusée mensuellement, serait également sur RMC Story.

Dans quelle France on vit est adaptée de votre livre du même nom publié l’année dernière. Va-t-on retrouver les mêmes thèmes sur RMC Story ?

C’est très important d’avoir conservé le nom parce que j’ai souhaité, à partir de ce livre, prolongé cette expérience en télévision. L’idée est de séduire un public plus large et d’avoir un partage des questions que je me pose car le métier de journaliste consiste à poser des questions, et non apporter des réponses. Dans le livre, j’ai parcouru six villes différentes mais pour l’émission de télévision, il s’agit de trouver un thème large touchant un maximum de Français et que j’essaie d’illustrer dans plusieurs endroits de France. Le premier sujet était la violence à l’école et le second : « vieillir : vivre vieux, vivre heureux ? » On peut se poser la question car nous avons une image négative des Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr] et de la vieillesse en générale.

« Mon mari ne décide pas de ce que je fais, ni sur quelle chaîne je vais »

La vieillisse est qualifiée de tabou dans la présentation du sujet. Pourtant, les scientifiques saluent un gain progressif de l’espérance de vie…

La société met en avant la jeunesse. Le Président est jeune et les seniors de plus de 50 ans ne trouvent plus de travail. Les Français souffrent de cela. Comme on vit vieux plus longtemps, on vit plus longtemps en bonne santé et il y a plusieurs décennies qui s’écoulent après la retraite, au cours desquelles l’être humain doit savoir quoi faire, comment vivre et avec qui. Il doit trouver une occupation car en France, quand on ne travaille plus, on n’existe plus.

La peur de (mal) vieillir prend-t-elle le dessus sur la peur de mourir ?

C’est bien la peur de mal vieillir et non la peur de vieillir. Mal vieillir correspond à l’ennui et à la solitude. En majorité, les personnes âgées souffrent de la solitude mais finalement n’est-elle pas la question existentielle de tout être humain ? Des personnes en pleine vie active souffrent aussi de la solitude et la définir est compliqué. Pour ce deuxième numéro, j’ai été en immersion dans un Ehpad et j’ai suivi une auxiliaire de vie car la plupart des Français choisissent de vieillir à domicile. J’ai également investi un habitat regroupé à Saint-Quentin et un immeuble à Montreuil où des femmes de plus de 60 ans ont pris le parti de vieillir ensemble.

En échangeant avec des professionnels, avez-vous constaté que la vieillesse préoccupait aussi les plus jeunes ?

Effectivement, la question de bien vieillir préoccupe tout le monde, y compris les jeunes et ceux ayant choisi d’en faire leur métier. Ils ont une image de la vieillesse parfois stéréotypée et celle-ci se modifie en pratiquant au quotidien. Si il n y a pas d’humain dans la relation entre les aidants et les résidents, cela équivaut à de la maltraitance. Celle-ci commence par le verbal alors il faut faire attention à tout. Malheureusement, dans des établissements en région parisienne comprenant énormément de résidents, les aidants n’ont pas le temps de s’occuper de chacun. C’est déjà différent en Province.

Les ressources n’étant pas inépuisables, est-ce préférable de chercher comment mieux vieillir plutôt que vieillir plus longtemps ?

Ce n’est pas à moi d’y répondre, je ne suis pas une scientifique. En tout cas, le souci essentiel de tous ceux qui vieillissent est de savoir comment bien vieillir. Les soignants et la famille y pensent et c’est la préoccupation première car l’espérance de vie est plus longue. Le grand déclic dans la vieillesse est la dépendance et l’indépendance. Une personne est bien tant qu’elle peut se prendre en charge mais les personnes âgées et dépendantes sont bien souvent touchées par la maladie d’Alzheimer. En écrasante majorité, elle touche des femmes. Sur le terrain, je n’ai rencontré que des femmes. Elles ont déjà perdu leur mari depuis 20 ou 30 ans et elles sont encore là. Il faut prendre tout cela en compte pour faire en sorte que la vieillisse se passe le moins mal possible.

« Quand il n y a plus de soldats américains sur un territoire, le nœud journalistique disparaît »

Vous avez couvert de nombreuses guerres et publié de multiples ouvrages. Comment jugez-vous les commémorations du centenaire de l’armistice ?

Je souhaiterais faire un aparté. Dans ces sociétés touchées par les conflits, les personnes âgées ne sont pas du tout traitées comme en Occident. Quand j’ai résidé en Afghanistan, en Irak… toutes les générations vivent ensemble et la problématique du vieillissement n’est pas du tout la même. Il y a moins de solitude et plus de respect. Concernant les commémorations, elles sont indispensables car la mémoire doit-être développée et enrichie. Nous n’avons plus de vétérans de cette Guerre et j’ai été choquée par un sondage en France et dans nos pays voisins qui révélait que seuls 6% des sondés savaient définir l’Holocauste. En France, on reste perplexe face au terrorisme réapparu comme un boomerang en 2015 alors qu’on serait moins surpris si on avait accordé plus d’attention aux guerres en cours.

C’est un processus naturel de faire « rentrer dans le rang » les conflits plus anciens, qui ne concernent plus des témoins vivants…

Il faut faire l’effort de se souvenir car c’est grâce à cela que l’on bâti une société. On vit dans l’immédiat mais on a une histoire et c’est parce que chaque pays a son histoire qu’on a parfois du mal à se comprendre.

Quels conflits actuels surveillez-vous de près ?

Je n’abandonne pas les conflits que j’ai commencé à couvrir. Simplement, plus personne ne les suit médiatiquement. Si je veux partir en Afghanistan demain, je dois vendre mon papier à quelqu’un hors c’est moins facile de le vendre aujourd’hui que ça l’était au cœur de la guerre. C’est une déception de plus à laquelle je suis habituée. La médiatisation des guerres suit l’armée américaine. Quand il n’y a plus de soldats américains en masse, comme en Irak ou en Afghanistan, il n y a plus de nœud journalistique pour suivre la guerre et elle retombe dans l’oubli.

Les Etats-Unis sont donc bien, à vos yeux, le « gendarme du monde »…

Oui, tout à fait.