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Evelyne Dhéliat (chef du service météo de TF1 et LCI) : « C’est une grande satisfaction de conserver le leadership »

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Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 02/03/2016 à 12:43 Mis à jour le 09/10/2022 à 15:53

La météo de TF1 reste leader avec 5.6 millions de téléspectateurs en moyenne le soir, et 3.3 millions à la mi-journée. Dans un contexte où la concurrence est de plus en plus accrue, la première chaîne d’Europe continue de tirer son épingle du jeu. Évelyne Dhéliat est revenue pour Toutelatele sur les enjeux de ce rendez-vous incontournable sur paysage audiovisuel français.

Benjamin Lopes : La météo de TF1 reste le plus regardée de France, et parmi celles les plus regardées en Europe. On imagine que vous êtes satisfaite de ces résultats...

Évelyne Dhéliat : Bien sûr, d’autant plus que depuis que je suis à la météo, ça a toujours été le cas, TF1 a toujours été leader. Le but c’est de le rester alors qu’il y a de plus en plus de chaînes, notamment celles d’information. Les téléspectateurs sont informés en permanence alors que sur les chaînes généralistes c’est beaucoup moins fréquent. On peut se dire que c’est une grande satisfaction de conserver le leadership. J’ai vu l’évolution avec l’arrivée des smartphones, tablettes et même internet. Les gens sont connectés à tout moment et au début on s’est posé la question de l’impact sur les bulletins météo. Ça les a presque finalement renforcés et quand je discute avec les gens ils m’expliquent qu’ils ont besoin d’avoir leur météo sur TF1. C’est un véritable rendez-vous avec le téléspectateur.

Le rapport à la météo des Français a-t-il évolué au cours du temps ?

Depuis la tempête de 1999, les gens se sont aperçus qu’il y avait des risques météorologiques. Il n’y avait pas de culture de risque auparavant en France métropolitaine. Dans les DOM-TOM, les vigilances existaient, en métropole non. Les gens ont pris conscience de la dangerosité de certains phénomènes et du fait qu’il fallait se tenir informé. Météo France a ainsi besoin des médias pour informer et c’est important. Ça fonctionne très bien.

À l’heure de la digitalisation, pourquoi les Français restent selon vous autant fidèles au rendez-vous météo sur TF1 ?

La crédibilité de la météo de TF1 est importante. Les gens veulent être sûrs que ce qu’ils ont vu sur internet est vrai dans nos bulletins météo. Je pense que les Français sont devenus encore plus accros à la météo qu’avant. Les prévisions sont de plus en plus fiables. Et puis, il y a aussi la lisibilité des cartes. À TF1, j’ai en permanence deux infographistes avec moi. Sur certaines chaînes concurrentes, ils ont un logiciel et des pictogrammes, mais ce n’est pas complètement défini zone par zone. Sur TF1, c’est quasiment presque du dessin avec des nuances entre les différents espaces. Les téléspectateurs peuvent avoir une lecture du premier coup d’œil. Il faut toujours aller à l’essentiel, mais surtout que les gens aient l’information qu’ils veulent avoir. La météo de TF1 est souvent copiée, que ce soit par les chaînes généralistes ou les chaînes d’information en continu.

Outre les infographies, comment TF1 parvient-elle à se démarquer ?

La façon dont on présente la météo a également un impact. Nous sommes trois sur TF1 avec Catherine Laborde et Louis Bodin. Nous sommes très différents et très complémentaires. Quand on nous rencontre dans la rue, on nous associe directement à la météo de TF1, il n’y a pas d’hésitation dans l’esprit des gens. Je pense que c’est aussi important, c’est une incarnation de la météo de TF1 totalement ancrée chez les téléspectateurs.

Comment élaborez-vous vos cartes de météo sur TF1 ?

C’est un travail tripartite. Il y a Météo France, c’est la base des données. Nous avons à l’ origine les mêmes cartes, les mêmes briefings et les mêmes informations par rapport aux autres chaînes qui travaillent avec eux. Certaines chaînes ne travaillent pas avec Météo France, c’est pour ça que les températures peuvent différer. On a des logiciels qui nous permettent d’avoir un certain nombre de possibilités et de décliner les produits. On traite l’information et chaque chaîne a sa façon de le faire. Et puis, on a l’infographie de TF1. Tout est ensuite une question de charte. C’est également une façon de nous différencier et je suis très exigeante sur la lisibilité et la qualité.

« La crédibilité de la météo de TF1 est importante »

Estimez-vous qu’il y a une forme de responsabilité de l’information délivrée par TF1, même si elle est produite par Météo France, notamment lors des fortes perturbations météorologiques ?

Pas de notre part. Le public fait la différence entre Météo France et les médias. C’est ancré dans l’esprit des gens, car ils vivent avec la météo. J’ai des enfants qui m’écrivent pour me dire qu’ils ont une station météo dans leur jardin. Ça touche tout le monde, toutes les catégories socioprofessionnelles, pour quelque raison que ce soit. C’est la mère de famille qui va vouloir savoir comment habiller ses enfants le lendemain, c’est l’organisation des week-ends. Les hôteliers me confirment par exemple que les gens réservent en fonction des prévisions du mercredi. Et dans un sens, c’est le signe de la crédibilité de l’information que l’on délivre.

Où dénichez-vous les nouveautés de demain de la météo de TF1 ?

Chaque année, nous nous rendons à l’IBC à Amsterdam qui est un salon professionnel sur tout le matériel télévisuel. Je vais faire mon marché là-bas avec des techniciens et des infographistes. On regarde les nouveautés et les logiciels. Ce sont généralement des produits qui vont être développés. Il y a aussi des évolutions qui viennent de la part de Météo France comme de nouveaux radars qui sont capables de différencier au sol la pluie de la neige et la grêle.

Quel regard portez-vous sur la météo de la concurrence, en France ou à l’international ?

Je me suis aperçue depuis quelques années qu’il y a finalement une mondialisation de la météo. C’est donc important que l’on garde la nôtre comme elle est. Sur TF1, je suis responsable de mon bulletin météo de A à Z. Je le fabrique et je le présente. Aux États-Unis, ils ont souvent un producteur. J’ai le souvenir d’un producteur de CNN qui m’avait dit que notre météo était unique au monde. C’est vrai que maintenant on est copié et que c’est un peu différent. Aujourd’hui, la météo est très uniformisée à l’international. Je ne trouve pas ça bien.

En Italie, la météo de la RAI est présentée par des militaires. Cela vous surprend-il ?

C’est juste incroyable. Quand on parle de l’Italie, on imagine un pays fabuleux, artiste et tout à coup on découvre un militaire qui présente la météo avec une baguette. Ce n’est pas à ce pays qu’on penserait en premier si on évoquait la question de savoir où un militaire présente la météo…

Les bulletins météo se distinguent également en Europe par le mode de réalisation, à savoir sur un fond vert, ou sur un plateau en 3D, réel ou matérialisé. Pourquoi TF1 conserve-t-elle son fond vert ?

M6 utilise la 3D, France 2 l’a fait à un moment donné et a abandonné le concept pour faire un copier-coller de ce que fait TF1, il y a à peu près plus d’un an. Nous avons déjà fait des essais en 3D sur TF1. La qualité première reste la lisibilité. La météo c’est plusieurs bulletins 365 jours par an. Il ne faut pas trop faire un spectacle, car à un moment donné ça devient lassant. Après c’est un choix. Nous sommes rattachés à l’information et c’est important. On ne veut pas disperser le téléspectateur, ceci étant il y a des choses à faire. C’est une évolution en permanence. Il faut faire très attention à ne pas désorienter les téléspectateurs. Il faut apporter des évolutions et non des révolutions. Notre météo marche très bien, on ne va pas se tirer une balle dans le pied. En revanche, il faut vivre avec son temps et se servir de la matière technique que l’on nous propose, mais aussi trier.

« Je suis très exigeante sur la lisibilité et la qualité »

En 2008, TF1 a tenté d’inclure un instant météo dans le JT de 20 heures. Pourquoi avoir fait le choix de le retirer ?

Je travaille avec les équipes de Jean-Pierre Pernaut et Gilles Bouleau du lundi au jeudi. À l’époque, Laurence Ferrari était sur TF1 et l’idée était de faire à la fin de chaque journal un teasing de la météo. C’était très sympathique puisqu’il y avait même une connivence avec les invités en plateau. C’était une façon de faire. Les équipes ont changé, on a modifié la formule et puis on ne l’a plus fait. Tout n’est pas coulé dans le bronze, fort heureusement d’ailleurs.

La durée des bulletins météo est variable en Europe. Comment est-elle définie sur TF1 ?

Elle est définie par la direction des programmes, en fonction de la grille. S’il y a un évènement exceptionnel, on peut avoir un peu plus de temps, même si c’est très compliqué. Parfois, on réduit aussi la météo, car il y a beaucoup d’actualités ou un invité dans le journal. Rien n’est figé et c’est fluctuant. Le midi, le bulletin dure entre 2 minutes et 2 minutes 30. Le soir, il est très court avant le JT, et plus long ensuite avec des prévisions à J+6 ou J+7.

Quand les bulletins sont-ils enregistrés sur TF1 ?

Le bulletin qui passe après le journal de 13 heures est en direct. Le soir, il y a un bulletin avant et après le JT. On tourne dans le même studio que le journal, avec la même technique et la même équipe de réalisateurs. Le bulletin avant le 20 heures est collé, techniquement il est donc impossible de le faire en direct. On enregistre également celle après le JT entre 17h30 et 18 heures, sauf évènement majeur où on peut le faire en direct.

Le direct ne vous met-il pas une pression supplémentaire ?

Je préfère le direct à l’enregistré. Ça arrive d’avoir des problèmes techniques, mais ce sont les aléas. Il faut savoir que les bulletins météo ont une durée évaluée à l’avance à la seconde près. Quand le journal de 13 heures déborde, je dois m’adapter en direct. Je rends l’antenne à la seconde près. Quand on enregistre et que le temps est dépassé de quelques secondes, même de quatre secondes, on la refait. C’est amusant, car le bulletin ne sera pas forcément identique et je pourrais commencer par parler du Nord, ou du Sud, et vice versa. C’est un véritable exercice de présenter la météo. Je n’écris rien. J’ai un chapeau dans ma tête, un chronomètre et un assistant qui me demande d’accélérer si je ne suis pas dans les temps. Je n’ai pas de conducteur écrit. Parfois, on me donne trente secondes de plus ou quinze secondes de moins après le JT de 13 heures, quelques minutes avant mon direct, je ne peux donc pas avoir de texte écrit. On raconte une histoire, c’est génial.

En Europe, plus de femmes que d’hommes présentent la météo. Pourquoi selon vous ?

Je serai incapable de le dire, car ça dépend des pays. Aux États-Unis, il y a par exemple plus d’hommes. Je connais beaucoup de présentateurs météo du monde entier et il y a pas mal d’hommes, même en Asie. Après, il y a également de plus en plus de femmes qui présentent les JT dans le même temps. La femme est devenue l’égale de l’homme, et l’homme de la femme. Peut-être que la météo n’avait pas ses lettres de noblesse comme aujourd’hui il a quelques années. On se disait que c’était un métier féminin et ça l’est donc peut être un peu resté, mais il y a de plus en plus d’hommes.

« Il faut faire très attention à ne pas désorienter les téléspectateurs. Il faut apporter des évolutions et non des révolutions »

Il y a quelques années, France 2 et M6 ont tenté de rajeunir les présentateurs météo. Comment avez-vous analysé ce phénomène ?

Je ne me suis pas posé la question. Il faut dire qu’il n’y a pas des tonnes de présentateurs confirmés sur le marché qui peuvent apporter une crédibilité à la météo. Les présentateurs de la météo à TF1 sont très ancrés. Il y a peut-être ceux qu’on peut changer, et les autres. Il est vrai qu’on a besoin de plus en plus de crédibilité et je pense que la concurrence s’en rend compte. Il y avait des nouvelles chaînes d’info qui ont pris des présentateurs qui ne savaient pas du tout de quoi ils parlaient. Les directions s’apercevaient de la différence et ils les envoyaient faire un stage à Météo France.

Le succès du JT de TF1 intrigue et des visites sont parfois effectuées par des chaînes européennes. En est-il de même pour la météo ?

Nous avons des échanges, notamment sur les forums dédiés à la météo pour voir comment on travaille. Il m’est par exemple arrivé de voir des logiciels qui m’intéressaient et qui avaient déjà été exploités par d’autres chaînes européennes. Je leur ai alors posé des questions, notamment sur la réaction des téléspectateurs. Et vice versa.

La BBC a lancé en novembre 2015 « BBC Weather Watchers » qui est une application qui permet aux téléspectateurs d’échanger sur la météo. Un tel dispositif est-il envisageable pour TF1 ?

Nous en avons beaucoup parlé et nous l’envisageons. Nous travaillons dessus, sur l’aspect digital de la météo et l’interactivité avec le téléspectateur. C’est un axe de développement.

Sur TF1, vous avez présenté La maison TF1, À la bonne heure et vous avez commenté l’Eurovision. L’envie d’animer existe-t-elle encore ?

Je trouve que lorsqu’on fait quelque chose il faut bien le faire, ou pas du tout. La météo me prend énormément de temps puisque je suis responsable des services météo de TF1 et LCI. Je travaille du lundi au jeudi à l’antenne, et le vendredi j’ai des réunions. C’est du temps plein. L’animation, pourquoi pas, mais ça serait compliqué. Ma ligne de conduite est qu’il ne faut pas s’éparpiller, car on perd notre identité et on l’a vu chez certains confrères.