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Justified > Rencontre avec le créateur Graham Yost

Claire Varin
Publié le 18/09/2011 à 20:37 Mis à jour le 19/09/2011 à 09:53

En visite au Festival de Deauville et à Paris, les 5 et 6 septembre 2011, Graham Yost a présenté la saison 2 de sa série Justified. Pour Toutelatele.com, le créateur a parlé de l’origine de ce projet, de l’univers de la série, de l’acteur Timothy Olyphant, mais aussi de son travail sur The Pacific et Falling Skies

Claire Varin : Comment est né votre envie d’adapter le travail d’Elmore Léonard sur le petit écran ?

Graham Yost : J’avais un contrat avec Sony Television et nous cherchions un projet. Ils avaient les droits de ce roman Fire in the Hole, mettant en scène Raylan Givens. Je lis les livres d’Elmore Leonard depuis plus de vingt-cinq ans. J’adore ce qu’il fait. J’aime ses personnages, sa violence et son humour. J’ai lu l’histoire et j’aimais le fait que ça se passe dans le Kentucky. Ce n’est pas un lieu que l’on voit souvent dans les séries. Mais ce que j’aimais surtout c’est le personnage de Raylan Givens, un homme un peu hors du temps, portant un chapeau et des bottes de cow-boy, et un pistolet à la ceinture. Un cow-boy dans une histoire moderne.

Dans Justified, vous montrez l’Amérique profonde et la violence de cette société. Quel regard portez-vous sur cette violence ?

J’ai grandi au Canada, qui a une culture beaucoup moins violente que les États-Unis. Mais la violence fait partie de l’histoire de l’Amérique, les histoires de frontières, de cow-boys et de western sont encore présentes à un certain degré aujourd’hui. Dans Justified, il y a beaucoup plus de violence qu’il n’y en aura dans toute la carrière d’un vrai US marshal. En général, ils n’ont pas besoin de sortir leur arme et de tirer, les criminels renoncent lorsqu’ils arrivent. Mais ça peut arriver, deux marshals ont été tués l’an dernier. Concernant la fiction, la violence rend l’histoire intense et captivante parce qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer ensuite. À chaque fois que quelqu’un sort un flingue, vous vous accrochez à votre siège. Et il y a cette tension dans l’univers d’Elmore Leonard. Quelque chose de terrible peut toujours arriver, à n’importe quel moment.

Justified est une série policière très littéraire et en même temps très cinématographique. En est-elle moins réaliste ?

La violence dans l’univers d’Elmore Leonard et celui de la série n’est pas très réaliste par un certain côté. Les personnages et les histoires sont un peu différents de la réalité. Nous ne faisons pas une série policière âpre et percutante, comme Engrenages, qui est une série beaucoup plus réaliste, montrant comment le système judiciaire fonctionne... Nous avons essayé de capter le ton plus amusant d’Elmore Leonard. Les personnages ont le sens de l’humour et ils font des références au cinéma. Leonard est cinéphile, comme tous les scénaristes, réalisateurs et acteurs de la série. Nous essayons donc de faire une fiction qui lorgne aussi un peu sur le 7e Art et en particulier, les vieux westerns et policiers.

Avez-vous réussi à vous détacher de l’empreinte d’Elmore Leonard ?

Elmore Leonard écrit des nouvelles et des histoires courtes. On passe quelques heures à les lire puis c’est fini. Nous, nous devons faire treize heures par an. Nous développons donc davantage les personnages, en allant plus profondément dans leur psychologie. Nous devons prendre des directions et réfléchir à comment les choses vont fonctionner. Nous essayons de garder l’univers d’Elmore Leonard et le plus important pour nous, c’est qu’il apprécie la série.


Elmore Leonard est-il impliqué dans le développement de Justified ?

Il ne valide pas les scénarios et ne fait pas de commentaire sur chacun des épisodes. Durant la première saison, il les regardait et donnait son feu vert à ce que nous faisions. Évidemment, il a aimé le pilote, qui est très proche de l’histoire qu’il a écrite. Et lorsque nous sommes venus avec de nouvelles histoires, il les a aimées. Leonard a d’ailleurs commencé à écrire de son côté de nouvelles histoires sur Raylan Givens, qu’il va rassembler dans un livre qui sortira prochainement. C’est amusant, car dans ses nouvelles histoires, il utilise des personnages que nous avons créés dans la série. Et nous allons nous aussi utiliser des éléments de ses textes. C’est pourquoi dans la saison 2, il est crédité comme scénariste de certains épisodes.

Justified est aussi une série sur la famille...

Ce thème est particulièrement développé durant la saison 2. La famille de Raylan versus la famille Bennett. Raylan est un personnage qui a quitté sa ville pour Miami et qui a laissé sa famille derrière lui. Lorsqu’il revient, beaucoup de fantômes sont sur son chemin. Il est encore hanté par son passé et il y est confronté. De plus, il y a une vraie culture familiale dans le Kentucky, probablement encore plus que dans le reste du pays. C’est donc un sujet intéressant à explorer.

Vous travaillez sur la saison 3 actuellement. Chaque saison est-elle un chapitre ?

Oui, ou plutôt un livre. Le livre de Raylan 1, le livre de Raylan 2, etc. Mais, d’une certaine façon, il y a des chapitres dans la vie de Raylan. Dans la saison 3, qui sera diffusée en janvier 2012, nous allons explorer des choses comme le prix à payer lorsque vous franchissez les limites que vous vous étiez fixées. Que se passe-t-il alors dans votre vie ? Il y aura aussi de nouveaux « méchants ». Nous voulons explorer ces petites villes afro-américaines. À quoi ressemble la vie pour ces habitants et à quoi ressemble le crime là-bas ? Nous voulons également introduire un nouveau personnage venu de l’extérieur, du nord-est.

Pouvez-vous nous parler de Timothy Olyphant ?

Si on regarde le travail que Timothy a fait depuis toutes ces années, il a fait des comédies comme Go, il a eu des rôles romantiques comme Catch & Release, et des rôles très sérieux comme Seth Bullock dans Deadwood. Je crois qu’avec Justified, nous avons assemblé toutes ces choses que Timothy peut faire. Son personnage est charmant, sexy, drôle, effrayant, et il est vraiment bon dans ce qu’il fait. C’est un personnage intéressant pour lui à jouer. Timothy est un de ces acteurs avec qui les femmes ont envie d’être... et certains hommes aussi et c’est très bien, on prend tous les téléspectateurs ! De plus, Tim est un type très intelligent, drôle et passionné.


Timothy Olyphant est nommé aux Emmy Awards 2011, comme trois autres comédiens de la série. En êtes-vous fier ?

Nous sommes aux anges. Nous travaillons avec Tim et Walt [Walton Goggins, ndlr] depuis deux ans et depuis un an avec Jeremy [Davies,ndlr] et Margo [Martindale, ndrl] - que vous verrez dans la saison 2 - et nous les aimons beaucoup et nous apprécions leur travail. Donc voir que ce qu’ils font est reconnu est une grande joie. Nous ne pourrions pas être plus fiers. Qui sait s’ils vont gagner, mais leurs nominations sont un grand honneur.

Vous avez, vous-même, participé à de nombreuses œuvres qui ont été récompensées. Est-ce important pour vous ?

C’est super. Cependant c’est important uniquement parce que c’est une reconnaissance publique de notre travail par nos pairs. L’industrie de la télévision vous dit « Bravo ! » C’est gentil et on apprécie cela. Mais on ne le fait pas pour ça. On le fait pour le public. La chose positive est que la nomination ou la récompense peuvent inviter plus de gens à regarder ce que l’on fait. Et nous espérons qu’ils l’aimeront.

Vous êtes un cinéphile. Quelles sont vos influences quand vous écrivez ?

Cela dépend du genre. Pour Justified, il y a certains grands westerns que j’ai adorés et des policiers. Mais on s’inspire également des films basés sur des histoires de Leonard, tels que Get Shorty, Hors d’atteinte et Jackie Brown. On regarde comment ils ont choisi de gérer certaines scènes. Pour The Pacific, nous devions être conscients des films de guerres et de Band of Brothers. Que pouvons-nous faire de différent ? Que pouvons-nous faire de semblable tout en étant différent ?

Vous êtes un scénariste très occupé, comment vous organisez-vous ?

Jusqu’ici, j’ai été très chanceux, j’ai pu aller de projet en projet, qui m’intéressait. J’ai été très chanceux de pouvoir travailler avec Tom Hanks et Steven Spielberg sur Band of Brothers et The Pacific. S’ils m’appellent pour refaire une mini-série, j’y vais tout de suite. Ce sont de bons producteurs. Ils sont intelligents, passionnés et amusants. Je n’ai pas de plan de carrière. À chaque fois, j’ai voulu faire des plans, les choses n’ont pas tourné comme prévu. Je prends projet après projet. Et en ce moment, je me consacre pleinement à Justified.


Pourtant, vous avez récemment travaillé sur Falling Skies, était-ce encore à cause de Steven Spielberg ?

Oui, c’était pour retravailler avec Steven Spielberg bien sûr. Mais aussi, parce que j’aimais l’idée d’écrire une histoire sur la résistance. J’adore l’Histoire. Si je pouvais, j’écrirais une histoire sur la Résistance française durant la seconde guerre mondiale. Ça arrivera peut-être un jour. Donc j’étais intéressé par cette idée de résistance contre les aliens. Là, vous pouvez avoir tous les points amusants d’une histoire de résistance, sans les éléments historiques plus lourds. Entre les saisons 1 et 2 de Justified, j’ai travaillé trois mois sur Falling Skies. Steven Spielberg avait déjà écrit le pilote avec Bob Rodat, qui a écrit Il faut sauver le soldat Ryan. L’univers était donc déjà créé, mon job était d’aider à ce que ça devienne une série.

Vous avez réalisé un épisode de The Pacific, avec-vous l’intention de le faire pour Justified ?

Non. D’abord, parce que mon travail de showrunner m’accapare trop pour me laisser le temps de le faire. Le seul épisode que je pourrais éventuellement réaliser est le dernier de la saison. L’autre raison pour laquelle je ne le fais pas est que nous avons des réalisateurs comme Michael Dinner, Adam Arkin, Tony Goldwyn et Jon Avnet. Ils sont tellement bons dans ce qu’ils font que je ne pense pas pouvoir faire mieux. J’ai adoré réaliser cet épisode de The Pacific. D’autres réalisateurs auraient également pu faire du bon travail, mais je l’avais co-écrit et j’avais vraiment envie de plonger là-dedans avec les acteurs.

Vous avez mentionné avoir regardé quelques épisodes d’Engrenages. Qu’en avez-vous pensé ?

Oui, j’ai beaucoup aimé. J’ai aussi regardé Pigalle, la nuit. C’est très bon, on dirait des films. Vous avez des séries très intéressantes en France. Ce sont des trucs très intelligents, on vous les volera. Je sais que Pigalle a été annulée, c’est triste, mais ça fait partie des règles du jeu à la télévision.