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La Nuit gay : mode d’emploi de la visite guidée du porno par Olivier Ghis

Tony Cotte
Publié le 28/01/2014 à 16:19 Mis à jour le 25/07/2014 à 16:47

La pornographie gay a cent visages, comme sa cousine hétéro. Olivier Ghis, le rédacteur en chef du « Journal du hard », s’est intéressé à cet univers et toutes les « niches » qui le constituent. Une immersion réalisée à l’occasion de la Nuit Gay sur Canal +. Toutelatele.com est à nouveau parti à la rencontre de ce professionnel passionné et curieux quatre mois après la diffusion de son précédent documentaire, « À poil, mais stylé ».

Tony Cotte : Peut-on considérer Porno gay : visite guidée comme la continuité d’A poil mais stylé, votre précédent documentaire pour Canal+, où vous démontrez que la pornographie évolue aussi en fonction de la libération sexuelle ?

Olivier Ghis : Autant A poil mais stylé pouvait embrasser tout le cinéma X, autant ici nous nous sommes concentrés sur une niche, qui est la pornographie gay. Au sein même de celle-ci, on retrouve mille niches ; c’est comme les poupées russes. Les rapports y sont beaucoup plus francs et directs. Par exemple, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas de dialogue. Dans le cinéma hétéro, même dans les gonzos sur internet, on retrouve au moins un mec qui dit bonjour avec une mise en scène sommaire. Le cinéma gay, en revanche, est à l’image de la sexualité : on ne s’embarrasse pas et on va droit au but. Mes amis me confient que leur vie sexuelle se résume ainsi. C’est très rare entre hétérosexuels ; il faut déployer un minimum de conversation.

Quelle a été votre motivation première pour aborder ce sujet ?

Le fait de ne pas l’avoir exploré avant. Je suis toujours curieux de ce que je n’ai pas fait. Je voulais essayer d’apercevoir s’il y avait une forme de fantasmagorie différente. Je suis tombé sur des curiosités auxquelles je ne m’attendais pas. Pour moi, ce cinéma était une terre inconnue en tant qu’hétéro. J’y suis allé avec un certain plaisir, car il y a des prolongements ou des différences assez amusantes. Chez les hétéros, par exemple, on retrouve des fétichistes de la chaussure, du pied. Ils vont être motivés par l’escarpin ou la jambe de la fille... Chez les gays, la même chose existe, mais d’une façon beaucoup plus distordue avec le genre sneakers. C’est une fascination pour les baskets, mais pas n’importe lesquelles puisqu’il y a des codes à respecter. On peut faire l’amour avec, se caresser ou renifler une basket. Se dévoile là-dedans toute une fantasmagorie autour des hommes qui les portent, des jeunes, essentiellement catalogués comme des mauvais garçons...

« La fascination pour l’étranger et l’individu peu élevé socialement se décline dans tous les pays occidentaux »

Porno gay : visite guidée évoque justement ces « mauvais garçons », présents dans tous les pays, et qui allient à la fois le désir d’exotisme et l’envie d’une virilité brute...

Le mauvais garçon chez Jean Genet était déjà séduisant. Dans l’absolu, il est même séduisant pour les femmes comme a pu l’être Marlon Brando. Pour les gays, c’est le mec de cité qui porte des TN. Ça envoie à toute une imagerie : l’ouvrier est plus viril que le bourgeois, comme le voyou est plus excitant que le garçon bien peigné.

Cette observation vous a-t-elle surpris ?

Je ne m’attendais pas à ce que ça s’attache à un détail aussi trivial qu’un accessoire vestimentaire. Mais ça, c’est un réflexe d’hétéro à la con. Je n’avais jamais pensé qu’une sneaker pouvait être considérée comme une belle chaussure et susciter l’excitation comme peut le faire une paire de Louboutin chez certains. J’ai trouvé également intéressant le succès de la section « beurs ». Les beurs de banlieue qui se font attraper dans des caves, ou devant des murs taggés, dans un milieu particulièrement homophobe, ça excite ; cette fascination pour l’étranger et l’individu peu élevé socialement se décline dans tous les pays occidentaux. Les Allemands le font avec la communauté turque. Les Américains, eux, ont les latinos. Dans le cinéma gay américain, s’il y a un mec qu’on va attraper et prendre contre un mur, ce sera un mexicain et non un black, les Afro-Américains venant d’une immigration trop ancienne. Ils sont trop élevés sur l’échelle sociale. Chacun décline sa classe dangereuse, sa classe laborieuse. C’est assez fascinant en soi.

Dans votre documentaire, on apprend que les Anglais n’ont pas d’Indien, du fait d’une histoire coloniale et d’un blocage culturel quand, paradoxalement, Citébeur en France recevrait 50 à 60 candidatures par jour pour jouer dans un film avec des « garçons de banlieue »...

Les beurs en France ont été arrachés à leur racine, ils ont des papiers français. Ils échappent un peu plus au poids de leur communauté initiale. Les Indiens et les Pakistanais qui vivent en Angleterre sont encore très attachés à l’Inde traditionnelle. L’homophobie dans la culture indo-pakistanaise est quelque chose à laquelle ils ne peuvent pas échapper. Même pour prendre 500 euros, ils ne le feront pas. Les mecs de banlieue, discrètement, peuvent, eux, prendre un billet.

Partie 2 > Le cas François Sagat et les bisexuels


Trouver des interlocuteurs pour s’exprimer sur la pornographie gay a-t-il été facile ?

C’est une communauté qui répond très favorablement et qui est agréablement surprise que l’on s’intéresse à elle. Le porno est un cinéma déjà marginal, alors le porno gay... Quand on tend un micro aux marginaux, ils sont contents de s’exprimer. On a notamment pu avoir Chi Chi LaRue. Ça a été une fierté de l’avoir. Dans le X gay, comme hétéro, ce qui frappe, c’est l’intelligence des interlocuteurs. Chi Chi LaRue a parfaitement conscience des limites de son exercice et des difficultés qu’il peut rencontrer. Économiquement, l’industrie porno a beaucoup souffert de la démultiplication des images et de l’incapacité à protéger le contenu. Lui, il a compris qu’il fallait se diversifier et il s’est mis à fabriquer des sex toys.

En revanche, s’il est évidemment cité, François Sagat ne vous a pas accordé d’interview. Est-ce un choix éditorial ?

On a essayé de le joindre et il n’était pas disponible. Il fait partie de ces gens qui ont franchi un cap d’une certaine manière. Il a été cross-over : il a rencontré des artistes, des créateurs. Il est devenu une telle icône mise à toutes les sauces par la mode qu’il est, je pense, fatigué que l’on s’intéresse à lui...

« Le cas François Sagat retranscrit assez bien l’hypocrisie du monde moderne »

Peut-on le considérer comme le Clara Morgane masculin ?

D’une certaine manière, mais avec un effet beaucoup plus rapide et épuisé. Autant Clara Morgane a réussi à s’inscrire sur la longueur pour être un fantasme, encore aujourd’hui des gens achètent ses calendriers, autant François Sagat a explosé comme une comète. Un peu comme le monde gay peut l’être : il a été un produit kleenex. Aux dernières nouvelles, il n’était pas dans une situation financière ou sociale très réjouissante. Il ne veut pas forcément refaire du X et les propositions « traditionnelles » qu’on lui propose ne sont pas si nombreuses. On peut dire qu’il a choisi une position courageuse. Sa situation retranscrit assez bien l’hypocrisie du monde moderne dans lequel on vit : « Oui t’es gay, t’es sympa. On te fout en Une des Inrocks, trois marques de mode vont s’intéresser à toi et un réalisateur va te faire tourner. Mais tu ne vas pas t’installer dans la durée et une fois qu’on aura bien essoré le fantasme, tu vas retourner sur le bas côté de la route. » C’est un peu triste.

Porno gay : visite guidée s’intéresse à toutes les “niches”, notamment celle des « bisexuels ». Il y est dit que les films bi sont très difficile à tourner...

Autant les scènes entre deux nanas excitent, autant si un homme se fait prendre dans un film, ça dérange immédiatement. Ça ramène sans doute les mecs à leur propre fantasme refoulé. Un film bi est particulièrement difficile à produire, car il est très difficile de trouver des acteurs vraiment enclins à avoir deux sexualités à la fois. Tous ceux qui sont engagés ne sont pas de la même nature : l’un va préférer les filles, l’autre sera gay et ne voudra pas qu’une femme le touche. C’est un vrai casse-tête. Ça tort un peu le cou aux idées qu’on peut se faire, comme quand Elle ou Marie-Claire affirmait, il y a trois ans, que la bisexualité se développe et qu’on le devient de plus en plus. Finalement, seulement 1% de la population se déclare « bi » et il s’avère que c’est davantage un phénomène féminin.

Cette difficulté traduit-elle au fond une très faible demande pour ce genre de produit ?

C’est difficile de faire la part des choses entre ce que les gens sont capables de produire et ce qui est enclin à intéresser un public. Si vous avez vraiment faim, mais qu’il n’y a que des pâtes au supermarché, vous ne mangerez que des pâtes. La demande profonde d’un consommateur peut être plus intelligente que ça. Les Américains, par exemple, ne regardent pas de films sous-titrés ou doublés. Les distributeurs sont trop protectionnistes et ont donc habitué leur public à cet autocentrisme.

Partie 3 > Les films lesbiens et le bareback


Porno gay : visite guidée revient également sur les films lesbiens en insistant sur le fossé entre le film fait pour exciter les hommes et ceux réellement destinés aux lesbiennes...

Dans l’imagerie collective, si deux femmes se caressent entre elles, c’est parce qu’elles attendent qu’un homme vienne les sauver de cette « misère ». Beaucoup de scènes tournées par des hétéros n’ont aucun rapport avec la sexualité lesbienne ; ces femmes ne sont destinées qu’à flatter le fantasme de l’homme. Elles sont très mièvres et c’est une représentation totalement édulcorée. Dans la réalité, les lesbiennes sont beaucoup plus crues. C’est loin d’être le monde des bisounours.

Les « vrais » films X lesbiens peuvent-ils faire l’objet d’une diffusion sur Canal + ?

Nous ne l’avons jamais fait, en dehors de courts-métrages ou dans le cadre de la Nuit gay justement. C’est une minorité dans la minorité, il y a donc peu de moyens financiers et peu de comédiennes. À l’arrivée, c’est un produit d’ultra-niche avec peu d’acheteurs potentiels, du moins déclarés.

Peut-on y faire un lien avec la représentation de cette sexualité par rapport à celles des hommes homosexuels ?

Il y a une forme de jalousie des lesbiennes par rapport aux gays. En trente ans, eux ont réussi parce qu’ils ont été davantage victimes. Les gays ont été détectés plus vite, donc refrénés plus vite et amenés à s’affirmer davantage pour leurs droits. Aujourd’hui, ils sont reconnus. La lesbienne, elle, est restée plus discrète. Elle se retrouve aussi dans le cinéma avec une représentation minorée et une difficulté à affirmer sa sexualité. Les femmes homosexuelles sont forcément déçues par ce qui existe sur le marché ; l’offre est rare et d’assez faible qualité. Quand on bénéficie d’un budget de 5 à 10 000 euros forcément...

« Il y a une forme de jalousie des lesbiennes par rapport aux gays »

Le cas du bareback est évidemment traité dans Porno gay : visite guidée. Paradoxalement, même si c’est une niche qui rencontre un important succès, les professionnels affichent une vraie distance par rapport à cette pratique. Estimez-vous qu’il y a une part d’hypocrisie dans cette industrie ?

C’est toute la difficulté pour les producteurs ; ils ne peuvent pas dire officiellement qu’ils apprécient cette pratique, mais ne peuvent qu’observer cette fascination du public. Une fascination qui peut se comprendre. Pendant trente ans, on n’a pas arrêté de dire de mettre des capotes. Ça finit par être fatigant, comme quand les parents insistent sur le fait de se brosser les dents trois fois par jour. Avec le développement des trithérapies, cette précaution est devenue brusquement superfétatoire. Une partie du public a envie de retrouver une sensation naturelle d’immédiateté. Tous les gens qui ont connu les années 70 vous diront d’ailleurs : « C’était super, on baisait n’importe quand. C’était génial.  » Mais même ceux qui portent régulièrement un préservatif dans leur sexualité peuvent être attirés par ce fantasme.

À la différence, comment le sujet est-il abordé dans le X hétéro ?

On s’est posé beaucoup moins de questions. La focalisation sur le sida a été faite sur la communauté gay. Au début des années 80, c’était leur « cancer », la stigmatisation divine sur une population dévoyée. On a fini par s’apercevoir que ça a touché d’autres personnes, mais les hétérosexuels ont estimé qu’ils n’étaient pas concernés . Comme ils faisaient des tas de films sans mettre de capote, ils ont continué à ne pas en porter dans la plupart des pays. En revanche, ils ont commencé à imposer des tests, ce qui est d’ailleurs fait avec un grand sérieux aux États-Unis. Les contrôles sont réguliers et si un acteur ne vient pas avec ses tests à jour sur le tournage. La notion est différente même si , a priori, le danger peut être sensiblement identique à celui de la communauté gay. Les homosexuels ont perdu beaucoup des leurs. Il y a eu tant de morts dans les années 80 que la difficulté de comprendre l’envie de « naturel » chez certains est légitime. Yannick Barbe (directeur de la rédaction de Têtu, ndlr) présent dans le documentaire, le dit d’ailleurs : « Dans mon carnet d’adresses, j’ai des tas de gens qui ne sont plus là ».