Toutelatele

Lena Dunham : le féminisme et la sexualité vus par la créatrice de Girls

Publié le 15/10/2013 à 15:11 Mis à jour le 24/10/2013 à 14:57

Lena Dunham, 27 ans, est cinéaste et scénariste. A son actif, le film Tiny Furniture et la série Girls, le hit de HBO pour lequel elle a remporté gagné deux Golden Globes. Elle a été nommée à quatre reprises aux Emmy Awards en deux ans pour ses casquettes d’actrice, de réalisatrice et d’auteures. Née à New-York, la jeune femme est une des protégées de Judd Apatow, producteur exécutif sur la série. Lena Dunham a aussi écrit un essai intitulé “Not that kind of girl : a young woman tells you what she’s learned” (« Pas ce genre de fille : une jeune femme vous dit ce qu’elle a appris ») pour un contrat qui s’élève à 3.5 millions de dollars. Version intégrale de l’interview parue dans le deuxième numéro de Preview :

Les différentes distinctions et votre exposition médiatique suite à la première saison de Girls ont-elles changé votre façon d’aborder la deuxième ?

Lena Dunham : En aucune façon j’espère. Tous ces retours positifs autour de la série ont été merveilleux et surprenants aussi, mais je veux faire en sorte de satisfaire le public et de rester dans ma bulle artistique. C’est la meilleure façon de continuer à travailler. J’essaye donc de ne pas trop m’attacher à toutes ces choses. Même si être félicitée par mes pairs est fabuleux, il est important de dissocier cet enthousiasme de mon travail créatif. Jusqu’ici, touchons du bois, je crois que ça fonctionne (rires).

Votre écriture est très personnelle et représente la génération perdue, touchée par le chômage à la sortie des études. Maintenant que vous avez une série très médiatisée et un contrat de 3.5 millions de dollars avec une maison d’édition, pensez-vous toujours pouvoir écrire pour cette génération ?

On me pose souvent la question, même mon propre père. Je ressens toujours certaines émotions, cette perte de repères, de ne pas savoir quelle est sa place dans ce monde et cette sensation de se sentir déconnectée de soi-même et de mon entourage. Ce serait super si un show télé ou un contrat pour un livre pouvaient résoudre tout cela, mais ce n’est pas le cas. Quoi qu’il en soit, j’essaie de savoir quelle sera la prochaine étape. Suis-je assez responsable pour avoir un chien, pourquoi n’ai-je pas jeté mes poubelles depuis trois jours, qui suis-je ? Toutes ces questions font encore partie de moi, donc je pense pouvoir puiser dedans sans que cela devienne un problème. Mais si ça pose soucis, je suis sûre que les gens me le feront savoir sur Twitter (rires).

Comment gérez-vous les retours autour de la série ?

Je ne lis pas tout, ce qui est, je pense, très important. On peut passer des journées à consulter des critiques négatives sur internet à s’en rendre malade. Certaines remarques m’aident, d’autres non. Pour moi, il y a le monde dans lequel je suis créative, et le monde dans lequel les gens réagissent ; ces deux sphères ne sont pas aussi interconnectées qu’elles le paraissent. C’est très utile de me rappeler que les gens ne sont pas avec moi quand j’écris ou quand je corrige. Les réactions autour de la série sont précieuses, nous avons beaucoup de chance d’avoir un public et tout un débat autour de Girls, mais ce n’est pas pour ça que j’ai commencé à faire la série.

« Je joue sur l’ambivalence de la relation qu’entretient Hannah avec son corps »

Qu’en est-il de cette fameuse citation « Je suis la voix d’une génération » ?

J’ai compris que ça me suivrait pour la vie et je l’accepte. (rires) Il y a des choses bien pires qui puissent arriver.

Par rapport à cette histoire de « voix d’une génération », vous êtes en tout cas devenue une voix incontournable de la comédie et du storytelling. Il y a t-il eu, à un moment donné, une quelconque remarque qui a eu un vrai impact sur vous ?

D’abord, il y a un aspect difficile, et nous passons tous par là : vous prenez la critique négative à coeur, bien plus que les compliments que vous pouvez recevoir. Je pense que le plus important, et c’est la raison pour laquelle j’adore Twitter, sont les réactions du public et ce que Girls a changé dans leur vie, comme se sentir plus à l’aise avec leur corps, être plus proche de leurs amis ou mieux comprendre ce qu’un membre de leur famille peut traverser. Que le show crée une sorte d’unité entre parents, frères et sœurs, amis ou amoureux, c’est la plus belle récompense. J’ai pleuré quand nous avons eu notre première critique l’année dernière dans le Hollywood Reporter. Un article dans The New York review of books m’a vraiment touchée, car l’auteur avait parfaitement compris la série. Mais les meilleurs compliments viennent des téléspectateurs, qui emportent les messages de la série avec eux dans leur propre vie.

Partie 2 > Sex and the city et le féminisme

Considérez-vous votre travail, comme vous-même, féministe ?

Assurément. Je pense que n’importe quelle femme qui ne se considère pas féministe est folle. Ce n’est pas une insulte. Mais il y a un vrai débat, certaines personnes résument encore le féminisme à l’idée d‘un génocide de la gent masculine. C’est avant tout croire à l’égalité entre les êtres et que les expériences des femmes sont valables au même titre que celles des hommes. D’ailleurs, c’est toujours une surprise quand certaines personnes me disent que la série serait « dégradante » pour l’image de la femme, notamment à travers les scènes de sexe. J’ai entendu des téléspectatrices dire que ce n’était pas un bon message, et j’ai eu beaucoup de « tu n’es pas féministe après ce que tu as fait sur la publicité pour Obama (en 2012, elle appelait les jeunes à voter Obama dans une vidéo en utilisant la métaphore de la première fois sexuelle, ndlr) ». Je parlais pourtant de sexualité en reconnaissant que le sexe était compliqué et effrayant et que vous n’en avez pas toujours le contrôle. Il n’y a rien d’antiféministe là-dedans, le message c’est de vouloir toucher d’autres femmes en partageant l’expérience d’être un individu avec une sexualité.

L’année dernière, vous avez souvent dû ré¬pondre aux multiples comparaisons avec Sex and the city. Avez-vous suivi son préquel, The Carrie Diaries ?

Je ne l’ai pas encore regardé, pas seulement par manque de temps, mais aussi car je suis trop occupée à regarder Nashville (rires). J’espère qu’après avoir regardé la première saison, les gens ont compris en quoi Girls était différente des autres, et la position singulière que la série occupe à la télévision américaine. Il me semble que les comparaisons avec Sex and the city se sont un peu calmées. Je vais devoir regarder The Carrie Diaries pour voir si nous sommes sur le même créneau. Pour je ne sais quelles raisons, je croyais que c’était sur Carrie au lycée. Mais je réalise maintenant que ça commence avec sa première arrivée à New-York (dans The Carrie Diaries, Carrie est en effet encore au lycée mais décroche un stage à New-York en alternance ; ndlr).

« Certaines personnes résument encore le féminisme à l’idée d‘un génocide de la gent masculine »

Quelle est la différence entre cette génération et celle de Carrie Bradshaw ?

Nous sommes la première génération élevée avec les réseaux sociaux et la première à sortir diplômée en pleine récession ; beaucoup de choses sont très spécifiques pour les personnes de mon âge, et elles impactent sur ce que c’est que d’avoir 24 ans maintenant. Je pense que notre génération est tellement globalisée, interconnectée et immense, avec tellement d’identités différentes, qu’il est impossible qu’une seule personne les représente correctement. Je peux seulement mettre un coup de projecteur sur certains aspects de la vie d’un jeune d’aujourd’hui. Je ne sais pas comment décrire la génération Carrie Bradshaw, mais je pense que ces femmes cherchaient ce qu’elles voulaient faire de leur vie professionnelle, qui étaient leurs amies, et comment conjuguer romance et vie de famille. Mes personnages en sont à une étape antérieure. Les filles de Girls ne savent même pas si elles s’aiment bien. Elles ne sont sûres de rien.

Vous évoquez le rapport au corps de certaines personnes. Un sentiment que l’on peut lier aux nombreuses scènes de nu. Ces dernières résultent-elles d’un épanouissement personnel ou vous forcez-vous pour les besoins de la série ?

Il m’arrive d’être très à l’aise avec mon corps et d’autres fois je me sens moche. C’est ce qui est intéressant : Hannah n’est pas nue en permanence, elle l’est finalement tout autant que n’importe qui. En réalité, nous montrons les moments qui sont coupés dans les séries télévisées, quand quelqu’un se change ou fait l’amour. Je joue sur l’ambivalence de la relation qu’entretient Hannah avec son corps. Parfois j’aime le faire, d’autres fois c’est plus compliqué. Mais je continue car je pense que c’est important. Pour autant, je n’ai pas envie que ça devienne un running gag. Je souhaite que ces scènes gardent un impact émotionnel. Dans notre sexualité, nous traversons plusieurs phases : il y a des périodes où vous vous sentez plus en confiance et d’autres durant lesquelles ce que vous faites physique¬ment reflète votre état d’esprit sur le plan émotionnel. C’est une évolution permanente.

Estimez-vous qu’Hannah contribue à donner une image plus saine du corps ?

Je l’espère. Le fait qu’elle existe en télévision, et pas comme une « grande taille », ça veut déjà dire quelque chose. Il existe déjà plusieurs séries qui en font de même, comme celle de Mindy Kaling. Il y a de plus en plus de femmes intéressantes qui ne font pas une taille 36 et qui portent une série où leurs poids n’est pas le seul sujet intéressant.

Est-ce plus facile de véhiculer cette image en tant qu’Hannah que d’affronter, en tant que Lena Dunham les commentaires sur votre choix de porter des shorts sur les tapis rouges ?

Je trouve cela assez drôle en fait, car je me retrouve jugée sur les mêmes standards qu’une célébrité sexy alors qu’il est assez clair que je ne joue pas dans la même cours. Si la fashion police veut m’arrêter pour porter des shorts, qu’elle le fasse. Mais ce n’est pas comme si j’arrivais à une soirée et je mettais ma réputation, et celle de ma styliste, en jeu. Je ne fais qu’être moi-même. Ce genre de remarques prouvent clairement que leurs auteurs n’ont pas vu Girls ou n’ont pas compris la série.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise ou choquée à propos d’Hollywood à ce jour ?

Rien qui ne me soit arrivé directement. C’est ce que j’ai découvert : des people payés pour porter des robes sur le tapis rouge, ou qui appellent des paparazzis pour les voir en sortant de la gym. Des choses que je ne pensais pas véridiques, qui n’étaient à mon sens que des rumeurs. Je ne me remettrai jamais de certains aspects : rien ne m’a autant choqué dans ce milieu que de voir des filles de 28 ans se faire des injections de Botox. Peut-être est-ce le fait d’être à Los Angeles ?

Partie 3 > Son premier livre et son rapport à l’intimité

Votre livre « Not that kind of girl : a young woman tells you what she’s learned » sortira prochainement. Au vu du titre, peut-on en déduire que la sexualité sera un des thèmes principaux ?

Il est en effet beaucoup question de sexe. C’est ce qu’il y a de bien dans ce genre d’écriture : vous pouvez offrir un commentaire qu’il n’est pas possible d’avoir dans une série. Je peux raconter une histoire et dire comment je l’ai vécue, ce qui en résulte et faire part de mon recul dessus. L’intérêt réside dans cette possibilité d’avoir une sorte de voix divine par laquelle vous racontez ce qui s’est vraiment passé. Vous pouvez être très intime ; ce n’est pas toujours possible de l’être en rédigeant un script..

La façon de parler des STD (« Maladies Sexuellement Transmissibles » en français) dans la première saison de Girls était assez révolutionnaire...

Nous ne nous détournerons jamais de ce sujet-là, Hannah n’a pas contracté d’autres STD actuellement, et j’en suis très heureuse pour elle (rires). Mais je n’écarte aucune possibilité pour la suite.

« Je ne suis pas une psychotique de l’espace privé »

Vous fixez-vous des limites à ne pas dépasser concernant ce que vous révélez de vous-même au fil des épisodes ?

Je tente de protéger ceux qui me sont chers et de garder certaines choses sacrées, sinon la limite serait trop confuse. Mais je ne suis pas une psychotique de l’espace privé ; je ne suis pas Michael Jackson à mettre des masques sur tout le monde. Je veux être sûre en revanche que mes proches sentent qu’ils ont le choix dans leur degré d’exposition.

Votre mère apparaît dans le second épisode, mais aussi dans votre film...

J’ai toujours voulu que ce soit elle et ce n’est pas une actrice, mais j’ai créé une sorte de monstre, donc à un certain point, j’avais besoin de la ramener. Comme elle bosse dans le monde de l’art, j’ai pensé qu’elle serait parfaite pour le rôle. Les gens qui l’ont vue m’ont dit « Ta mère est vraiment bonne ». Je le pense aussi. Elle était vraiment drôle.

Avez-vous une certaine appréhension quant à la réception de la série par vos parents, notamment avant la première scène de sexe ?

Ils sont très ouverts, tellement d’ailleurs que je n’étais pas aussi effrayée que j’aurais pu l’être, mais tout même... Il y a des moments où je me dis que c’est vraiment fou que mon père suive des épisodes de Girls.

Quelle est l’ambiance sur le plateau de tournage quand vous tournez les scènes de sexe, notamment celles dérangeantes à regarder ?

J’ai un partenaire génial, Adam, dont je suis proche. Ça ne me gêne pas trop d’être nue avec lui. Après deux ans à le faire, on a dépassé le stade de la « gêne ». Je n’ai plus peur de lui montrer quoi que ce soit. En plus, l’équipe présente sur le tournage me soutient vraiment. Ils sont tous comme mes frères. Dès que la scène est terminée, ils me lancent une robe de chambre. Ils sont adorables.

Dans d’autres interviews, vous dites qu’en matière de rencontres amoureuses, un certain type d’hommes était nécessaire. Pouvez-vous être plus explicite ?

J’ai une carrière assez inhabituelle pour quelqu’un de mon âge. Pour que je sorte avec un homme du même âge, il faut qu’il soit confiant avec sa propre situation professionnelle. Je pense que les femmes sont conditionnées pour penser qu’elles peuvent être avec n’importe quel homme, mais la réciproque n’est pas vraie. Certains, pas tous, mais quelques-uns, peuvent se sentir menacés par le fait que ma carrière compte autant pour moi que la leur. Il faut redoubler d’attention quand on fait le choix, en tant que jeune femme, de se concentrer sur sa vie professionnelle. La personne avec laquelle vous êtes doit le comprendre et vous soutenir vraiment, pas du bout des lèvres.