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Marc Geiger (Ça commence aujourd’hui) : « Je suis traversé par les émotions, c’est ce qui me nourrit pour défendre les gens »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 08/06/2020 à 13:36 Mis à jour le 27/05/2022 à 00:28

L’avocat Marc Geiger est en exercice depuis une trentaine d’années. Révélé dans Toute une histoire, il officie désormais dans Ça commence aujourd’hui. Il a livré pour Toutelatele sa conception de la défense.

Joshua Daguenet : Après avoir participé à l’aventure Toute une histoire, pourquoi avoir rempilé pour Ça commence aujourd’hui ?

Marc Geiger : D’abord parce que c’est un prolongement de ce que je fais dans mon métier. J’ai la possibilité de conseiller les gens, leur donner des astuces pour que cela se passe un peu mieux pour eux. Participer à ces émissions de télé me donne l’occasion de ne pas avoir une personne en face de moi comme c’est le cas dans mon cabinet, mais plusieurs centaines de milliers, et dans lesquelles il y a des gens à qui ces conseils peuvent servir. Et pour ne rien vous cacher, la télé, c’est un peu mes origines, car je suis issu d’une famille de cinéastes. Je pense que cela me permet aussi de retrouver mon univers familial.

Comment se distinguent les deux magazines de France 2 ?

Il y a une distinction à faire sur la personne qui l’incarne et est évidemment déterminante sur le ton apporté à l’émission. Après, Ça commence aujourd’hui essaie beaucoup plus de coller à l’actualité avec des thèmes concernant les gens au moment où ils sont diffusés. Cette émission prouve que la télévision peut s’acclimater à l’évolution d’une société. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les informations sont publiées dans les trois minutes qui suivent l’événement, donc si la télé n’est pas capable d’être plus rapide qu’elle ne l’est habituellement, les gens s’en désintéressent.

Vous avez démarré il y a 20 ans dans Toute une histoire. Comment les thématiques ont-elles évalué jusqu’à aujourd’hui ?

Quand Toute une histoire commence, les thématiques sont très générales parce que les émissions testimoniales imaginées par Jean-Luc Delarue n’en étaient qu’à leurs débuts. L’évolution s’est faite en même temps que la solution. Aujourd’hui, nous sommes plus libres d’aborder des sujets plus lourds, plus difficiles et extrêmement importants pour les gens. Dans Ça commence aujourd’hui, il fallait déjà installer l’émission dans l’esprit des téléspectateurs pour se permettre d’aborder avec eux des thèmes plus concernants. Il fallait aussi que Faustine [Bollaert, l’animatrice, ndlr] soit prête, et maintenant, elle l’est très largement.

« Aujourd’hui, nous sommes plus libres d’aborder des sujets plus lourds, plus difficiles »

Les émissions records de Ça commence aujourd’hui sont réalisées à travers les faits divers et vos interventions. Comment expliquer le succès de ces thèmes ?

J’ai constaté depuis longtemps le goût des gens pour ces situations extraordinaires. Ça les rassure de se rendre compte que des choses très graves se passent, sans qu’elles ne les concernent directement. Aujourd’hui, dans le paysage audiovisuel, il n’y a pas une chaîne qui n’ait pas une émission de faits divers ou de justice. C’est très bien, car c’est aussi l’occasion de montrer aux citoyens comment fonctionne leur justice de l’intérieur et c’est fondamental.

Dans ce type de numéros, les témoins sont particulièrement fragiles. Quelle est votre approche à leur égard ?

J’ai la même approche avec les témoins que je l’aie avec les clients dont je m’occupe. Cela fait trente que je suis auprès des victimes. Le leitmotiv est de se dire que les gens doivent aller mieux qu’au moment où ils nous ont rencontrés. C’est le même principe que j’essaie d’exercer quand je fais mon métier d’avocat. Le but est de les défendre, les conseiller, et qu’ils aillent mieux. Il est nécessaire de les rassurer. Pour mettre des gens en confiance, plus vous allez leur expliquer clairement la situation dans laquelle ils se trouvent et quelles sont les solutions qui s’offrent à eux, et mieux ils iront. Les gens venant avec des thématiques lourdes sont souvent des gens qui sont dans une impasse. Ils n’arrivent plus à réfléchir du fait de la violence de ce qu’ils ont subi.

Quels sont les sujets ou invités vous revenant en mémoire ?

Je me rappelle de certaines invitées qui ont subi des harcèlements, voire même des tentatives d’assassinat. Parfois aussi, il y a des figures, des personnages. Je me souviens de ce marin marseillais qui avait retrouvé la gourmette de Saint-Exupéry... Il nous avait éclatés... Cette émission est l’occasion de rencontrer des personnalités extraordinaires, et qui pourtant, sont dans l’anonymat. Même si nous abordons deux fois le même thème, nous n’aurons jamais la même émission, car les personnages sont différents.

Avez-vous gardé contact avec certaines de ces personnes ?

Oui, j’essaie d’aider certaines personnes au-delà de l’émission quand elles se retrouvent coincées dans leur problématique. Je me souviens notamment d’un direct sur les violences faites aux femmes. L’une d’elles nous avait contactés et je m’en occupe à présent. Dans le programme, certaines personnes viennent désespérées car elles sont dans une impasse dans le domaine juridique. L’une d’elles date de Toute une histoire et je l’avais assistée devant une Cour d’assises dans l’Est de la France, car son frère s’était fait tuer à moto. J’ai continué à garder des liens d’amitié avec elle.

Fréquentez-vous certains intervenants de Ça commence aujourd’hui ?

Oui bien sûr. J’ai des liens d’amitié assez forts avec Florian Ferreri, Laurent Karila, Natacha Espié... Souvent, ce sont des psychologues ou des psychiatres, car nous avons la même matière. Ils sont plus dans l’analyse et moi dans la pratique. Quand nous sommes à deux sur un plateau, une complicité s’installe et elle peut perdurer au-delà de l’émission.

« Le leitmotiv est de se dire que les gens doivent aller mieux qu’au moment où ils nous ont rencontrés »

Affaire conclue est aussi une réussite à travers la personnalité des experts. Le succès de Ça commence aujourd’hui est-il, lui aussi, indissociable de l’attachement du public envers les intervenants ?

Comme j’en suis un, c’est un peu difficile de répondre à cette question, mais je pense que oui. En lisant les commentaires sur les réseaux sociaux, j’ai l’impression que les gens considèrent cette émission comme étant bien évidemment une émission présentée par Faustine, mais avec une équipe autour d’elle ; et cette équipe a son importance.

Vous avez récemment indiqué dans un tweet avoir accompagné une mère de famille et sa fillette de 8 ans abusée sexuellement. Est-ce un accompagnement récurrent pour un avocat ou plutôt une initiative personnelle ?

Me concernant, c’est un accompagnement auquel je consens depuis presque le début de ma carrière. Cela fait bientôt trente ans que j’accompagne les victimes. Quand je suis amené à être auprès d’une maman dont la petite fille de cinq ans a été violée... c’est le cœur de mon métier. Cela me donne un sentiment d’utilité qui me comble. Défendre ces gens-là ne suffit pas, il faut les accompagner.

Pour exercer au mieux et au plus complet possible ce métier, l’empathie doit-elle connaître des limites ?

C’est une question extrêmement compliquée. Je ne peux répondre qu’à travers l’expérience qui est la mienne. J’ai pris le parti de ne pas mettre de barrière avec les gens que j’accompagne. Je suis traversé par les émotions et c’est ce qui me nourrit pour les défendre et exposer la situation qui est la leur. Parfois, cette empathie est lourde et il faut savoir déconnecter et atterrir quand on est chez soi. Mais je ne vois pas comment je pourrais exercer mon métier si je me protégeais.

Vous avez coécrit « Le crime et l’enfant », relatant 32 affaires criminelles ayant impliqué des enfants. Le titre de votre ouvrage rappelle-t-il que les criminels sont davantage mis en avant que leurs victimes ?

Le titre avait une volonté d’être choquant, à savoir de mettre ensemble deux termes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Malheureusement, quand il y a du crime, des enfants sont parfois concernés. C’est une mise en parallèle de deux mondes qui n’auraient jamais dû se rencontrer et cela cause toutes les difficultés de l’accompagnement d’un enfant dans ce milieu.

Michel Fourniret a récemment avoué le meurtre d’Estelle Mouzin. Le pensez-vous coupable dans cette affaire ?

C’est vraiment intuitif, mais oui, la personnalité de cet homme est telle que je pense qu’il a commis les faits sur Estelle Mouzin et qu’on n’est pas au bout des révélations de Fourniret. Il a le sens du média et va nous servir régulièrement des informations qui le garderont dans la lumière le plus longtemps possible.