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Patricia Fagué (Dans l’espoir de se retrouver...) : « Aujourd’hui, on peut facilement disparaître »

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Rédacteur - Expert TV & Séries
Publié le 05/03/2014 à 13:31 Mis à jour le 12/03/2014 à 16:11

Enquêtrice dans Perdu de vue, émission phare de TF1 à partir de 1990, la journaliste Patricia Fagué a vécu ce premier emploi comme une passion. Après avoir proposé des pilotes pour relancer intelligemment le concept en se heurtant à la frilosité des productions, elle revient aux affaires avec Dans l’espoir de se retrouver sur Chérie 25. Rencontre.

Clément Gauthier : Est-ce une ambition de longue date de passer devant la caméra depuis votre travail sur Perdu de vue ?

Patricia Fagué : Je suis journaliste de télévision depuis 20 ans, mais ça ne me tentait pas du tout de passer devant la caméra. Perdu de vue était mon premier métier. J’ai toujours travaillé derrière la caméra et ça m’épanouissait totalement. Je n’ai jamais couru après le succès.

L’arrivée de Dans l’espoir de se retrouver... a-t-elle été difficile à conclure ?

Ça fait des années que je suis sollicitée pour relancer ce genre de concepts et ça ne voit jamais le jour, car tout le monde se défend de vouloir faire une émission qui ressemble à Perdu de vue. Et quand je proposais ma manière de voir les choses, les diffuseurs ne voulaient pas relancer une telle aventure. Je suis entrée à Littlebigprod, il y a deux ans, comme chef de projet sur une émission. J’en ai parlé et, entre-temps, France 2 a fait un sujet sur moi dans le 13h15 Ça a été un déclencheur, car ça a bien marché avec 3,2 millions de téléspectateurs pour cette tranche horaire. J’ai proposé de relancer le concept et c’est remonter jusqu’à Christine Lentz qui dirigeait Chérie 25. Elle a signé les yeux fermés, la veille des vacances de Noël.

Quelles difficultés rencontrez-vous, à notre époque, pour retrouver des personnes ?

C’est assez facile, car je fais ça depuis 20 ans et j’ai tout de suite eu le truc. C’était inné de trouver les gens et l’expérience facilite la tâche. J’ai les réflexes même si les recettes changent en fonction du type de disparition. Ce qui est plus difficile aujourd’hui est que l’on peut plus facilement disparaître. Le fait qu’on puisse voyager très facilement, du jour au lendemain comme dans l’affaire Dupont de Ligonnès, un exemple typique. Xavier a dû prendre un train pour se retrouver en Italie. De là, il a pris un avion et c’est fini.

« Aujourd’hui, on peut facilement disparaitre »

Quels moyens avez-vous à disposition pour retrouver des gens ?

Avec mon réalisateur, nous sommes sur la même longueur d’onde et on a le même contact avec les personnes. Il est très humain et on part du principe que les gens ne vont peut-être pas vouloir être retrouvés. On arrive à trouver le juste milieu entre arriver plein pot face caméra ou y aller doucement si on entend au casque que la personne est contente d’être retrouvée. C’est un vrai travail d’écoute, à l’égard du sentiment des gens et de leur réaction. Il y a un vrai travail psychologique avec notre manière de les aborder et d’anticiper leurs réactions. On part donc à deux sans moyen particulier. On se fixe trois jours, car il y a des délais de production. Il y a des pistes de départ pour ne pas s’embarquer sans rien.

Trois jours est un délai assez court. Quel est le taux d’échec ?

On a deux appels à témoin, sur les 24 histoires du programme, où on n’était pas sûrs de pouvoir aboutir, car il ne s’agissait pas d’un départ volontaire. On ne se lance généralement pas dans des histoires qui ressemblent au profil d’une disparition inquiétante où un assassinat ou un suicide est connoté, car il y a peu de chance qu’on retrouve la personne en vie. Les deux histoires où l’on s’est lancé se sont terminées en appels à témoin, car je n’ai pas retrouvé la personne que j’étais partie chercher.

Partie 2 > Son approche des personnes disparues


Existe-t-il toujours de petites controverses pointant du doigt votre travail comme entrave à la justice ?

La justice n’a rien à voir là-dedans. Ce ne sont pas des histoires qui font l’objet d’une procédure. On ne se lance que dans des histoires anciennes, car une disparition récente, datant de cinq ans par exemple, comporte une charge émotionnelle réduite. La première histoire dans laquelle nous n’avons pas abouti datait de 30 ans. C’était une mère dont le fils a été enlevé par le père quand il avait deux ans. Elle n’est plus sous couvert de la justice. La deuxième est celle d’un monsieur né sous X qui a été victime d’un trafic d’enfants dans le Nord de la France grâce à l’entremise d’un notaire. Il recherche sa mère biologique donc l’histoire n’a également rien à voir avec la justice. Ce ne sont que des histoires humaines.

Personnellement, ces histoires vous pèsent-elles ?

Non, car je sais que je vais apporter du bonheur et enlever un poids à quelqu’un. Le bonheur des gens fait le mien. J’ai l’impression d’être utile et de les aider à respirer un peu mieux après mon passage.

Quand il s’agit d’annoncer le décès d’une personne à un de ces proches, que ressentez-vous ?

C’est le côté le moins agréable et, d’ailleurs, je retrouve beaucoup de morts. Chérie 25 a eu le courage de se lancer et de garder à l’antenne des histoires aboutissant en appels à témoin pour cause de personne décédée. Toutes les sociétés de productions avec lesquelles j’ai travaillé sur des pilotes pour relancer le concept ne voulaient pas de mort, d’adoptions, ou d’abandons. Quand on est adopté, il n’y a juridiquement plus de lien officiel et juridique avec la personne biologique. Cette autocensure fait que ce type de programme ne voyait plus le jour. J’ai imposé à Chérie 25, comme condition que le programme marche, qu’on garde les abandons représentants une majorité de cas.

« On ne se lance généralement pas dans des histoires de disparition inquiétante »

Comment vous y prenez-vous pour annoncer une mauvaise nouvelle ?

J’y vais délicatement et je prépare toujours les gens à cette éventualité. Quand je vais faire leur portrait, je leur fais bien prendre conscience qu’il faut être prêt à tout. Si une personne abandonnée recherche sa mère sous X, je lui explique que ce n’est pas forcément une princesse qu’elle va retrouver. S’il y a abandon, il y a une histoire un peu triste derrière. La mère de cette personne a pu se prostituer ou avoir eu une relation incestueuse. Je les prépare à toute éventualité. Mais les gens ont déjà fait ce travail psychologique préparatoire eux-mêmes, car ce sont des quêtes qui les obsèdent depuis des années. Je leur rappelle que ce qu’ils vont trouver n’est peut-être pas ce qu’ils ont imaginé.

Arrivez-vous toujours à jongler entre cette émission et votre site internet, personnedisparue.com ?

Je n’ai plus le temps pour mon site internet. Je mets à jour les news pour que ça bouge, mais l’émission a pris le pas. Je le garde, car c’est toute ma vie, mais, pour l’instant, je le mets en demi-sommeil en continuant à répondre aux mails. Des gens arrivent sur mon site et je leur propose l’émission pour ne pas les laisser dans le silence.